jeudi 29 octobre 2015

WALLONIE : "IL FAUT TOUT CHANGER POUR QUE RIEN NE CHANGE" (J.PIRON )

Ces dernières semaines ont vu émerger toute une série d'interventions de la part d'élus wallons sur une régionalisation plus accrue, sur une valorisation plus grande de la Wallonie voire une liquidation pure et simple de la Fédération Wallonie-Bruxelles.


La Cité de la Peur est probablement un film trop vieux pour les 18-25 ans. Pour les 25-35, c'est un film culte. L'une de ses scènes est restée emblématique: l'arrivée répétée de la sous-préfète au Festival de Cannes. Montant et remontant les marches sous les flashs des photographes, peu désireuse finalement d'aller au bout de sa logique et d'assister à la projection, le passage de la sous-préfète est celui de l'attrait pour les feux de la rampe. L'important est surtout qu'on parle d'elle. "Alors que revoilà la sous-préfète !"

Le discours sur la Wallonie est un peu notre sous-préfète. Ces dernières semaines ont vu émerger toute une série d'interventions de la part d'élus wallons sur une régionalisation plus accrue, sur une valorisation plus grande de la Wallonie voire une liquidation pure et simple de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À la manière d'un marronnier, ce propos revient régulièrement sur le devant de la scène. La comparaison avec le film cité plus haut tient dans cette volonté d'apparaître et de réapparaître sur la scène publique, sans avoir l'intention d'aller jusqu'au bout de la logique. Car ce débat sur la régionalisation de l'enseignement, aussi pertinent qu'il puisse être, pêche par un manque récurrent de vision sur la Wallonie et son avenir.

Ce n'est pas tant l'idée de régionalisation qui nous dérange, au contraire. Le manque de visibilité de nos institutions, de leur cohérence et de leur adaptation à des besoins différents est criant. Il suffit de poser la question autour de nous sur "qui gère quoi ?" pour se rendre vite compte de cette évidence : peu de personnes comprennent quels sont les rôles précis des provinces, de la région, de la fédération. Dans un climat de défiance grandissant par rapport aux élus, un peu plus de clarté et de rapprochement vers les citoyens ne feraient pas de mal. Cet effort, en ce sens, est à souligner.

Cependant, une fois encore, cette initiative se lance de manière totalement désincarnée. Sans audace. Et sans aucune vision par rapport aux enjeux futurs.

Désincarné car une région dessinée économiquement ou affirmée politiquement par quelques-unes de ses élites n'est pas nécessairement un "espace vécu". Une région se vit et se construit d'abord par rapport aux besoins de ses populations, de leurs envies, de leurs ressentis. Ce n'est pas un rapport vertical, imposé du haut vers le bas. C'est avant tout des liens entre chacun, une appropriation par ceux qui y vivent. Bref, l'exact contraire de ce qui se fait aujourd'hui. Le fait wallon est largement désincarné. Ou construit sur une opposition, à savoir que les Wallons se définissent comme le contraire de la Flandre. Or, on ne construit pas un projet mobilisateur sur un rejet ou une caricature.

Dans ce cadre, voir la régionalisation de l'enseignement comme un outil du redéploiement économique wallon serait une erreur. L'enseignement, comme la culture, doit permettre de construire un projet commun et émancipateur, et non être au service de l'économie. Ce n'est pas d'une Wallonie technique et bureaucratique dont les Wallons ont besoin, ni d'une confrontation stérile aux régions voisines, voire même entre les bassins wallons, mais bien d'un projet commun on l'on retrouve le goût pour l'utopie et l'engagement collectif. C'est aussi dans cet esprit que la revendication d'une Belgique à 4 régions prend sens, où la Communauté germanophone se voit reconnaître comme un acteur plein et entier.

Sans aucune audace, ensuite, car, à entendre les différents acteurs qui se sont exprimés ces dernières semaines, "il faut tout changer pour que rien ne change". Le mal wallon est aussi celui d'un système politique et d'un espace public dépassé, poussiéreux, conservateur. Malgré des déclarations ampoulées sur la relance de la démocratie, et malgré la mise en place d'une commission de "renouveau démocratique", et en dehors de la future mise en oeuvre, bienvenue, des consultations populaires régionales, les vieilles pratiques ne changent pas. Bazardées les idées de décumule, de réforme des nominations et mandats dans l'administration, de suppression des provinces, de contrôle accru des intercommunales, de tirage au sort... . Mise sous cloche la lutte contre les baronnies politiques, les lasagnes d'institutions pléthoriques et les besoins de rationalisation des outils. Or, les institutions doivent être au service des sociétés et évoluer avec elle. Et la société wallonne actuelle bouge vers une plus grande autonomie et une transformation de la participation. L'essor en cours des coopératives, des projets citoyens, des mouvements en transition témoigne de cette soif d'engagement. Refuser la mise à jour des outils et instruments de décision tout en appelant à une réforme des macros structures équivaut dès lors à une hypocrisie, ni plus ni moins.

Sans aucune vision par rapport aux enjeux futurs, enfin. La Wallonie va faire face, dans les 25 années à venir, à une explosion démographique : + 200.000 habitants en 2020, 500.000 en 2040. Les défis énergétiques et climatiques vont imposer aux Wallons des choix drastiques si rien n'est fait pour les anticiper. L'économie elle-même est en train de changer. L'économie circulaire, collaborative, de fonctionnalité, l'écologie industrielle, les circuits courts... bouleversent la façon dont s'appréhendent les liens économiques à l'échelle d'une région. Or, rien ne démontre qu'une telle compréhension des changements à venir s'intègre dans les récents positionnements régionalistes. Les politiques énergétiques renouvelables sont drastiquement revues à la baisse, les projets de mobilité nous ramènent au "tout à la voiture" des années 60 et le soutien aux innovations économiques et aux alternatives vertes, pourtant définies comme largement créatrices d'emplois, est totalement insuffisant.

Il ne s'agit pas de tuer tout esprit wallon et de s'opposer à une régionalisation de l'enseignement et de la culture, au contraire. La Wallonie doit se réinventer. Il s'agit notamment d'une question de responsabilité face à la réforme de l'État à mettre en oeuvre et face à notre architecture institutionnelle, trop complexe. Mais tout ceci ne peut se faire sans penser aux Wallons de demain. Plutôt que la transformation des institutions, c'est à la transformation citoyenne qu'il faut s'intéresser, au "pourquoi" plutôt qu'au "comment ". Dans une société où le citoyen est replacé au centre du jeu, avec des moyens propres d'émancipation et d'épanouissement personnel, dans un système politique simplifié, plus participatif et plus transparent. Et rassurant car anticipant les chocs économiques, climatiques et énergétiques futurs. Bref, une Wallonie plus ouverte, et non plus une Wallonie de sous-préfecture. C'est déjà ce que proposait Le Manifeste pour la culture wallonne de 1983 : "En tant que communauté simplement humaine, la Wallonie veut émerger dans une approche de soi qui sera aussi ouverture au monde". Allons donc maintenant vers l'avant, et faisons monter la sous-préfète tout en haut des marches.


Jonathan PIRON – ETOPIA – Conseiller à la prospective

Dans le VIF

mercredi 21 octobre 2015

LA WALLONIE EST UNE EVIDENCE ! (RTBF/Opinion)



Comme chacun le sait, l'emploi et la situation économique et sociale constituent depuis longtemps les principales préoccupations des Wallons.

Si, dans notre Région, cette sensibilité est particulièrement forte, c’est qu’elle est le fruit d'une histoire qui a laissé des traces dans notre inconscient collectif.

En effet, le traumatisme qu'a constitué le déclin industriel, consécutif à une période de prospérité économique, a non seulement marqué les Wallons dans leur bien-être et leur cadre de vie, mais il les a aussi durablement complexés et affaiblis dans la perception qu'ils ont d'eux-mêmes.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard mais résulte d'une configuration institutionnelle et politique qui a toujours minorisé la Wallonie, l'Etat belge exploitant ses avantages sans toujours lui donner le retour de sa contribution à la prospérité nationale.

Pour les centaines de milliers de travailleurs qui attendaient de l’Etat belge qu'il anticipe la reconversion industrielle de la Wallonie en réalisant des investissements publics indispensables ou en attirant les investissements étrangers, le sentiment d’abandon fut total.

Dominé par un CVP tout puissant durant plus de trente ans, l'Etat belge a ainsi largement contribué au miracle économique flamand qui n'en était pas vraiment un. Ainsi, 80 à 85% des crédits publics nationaux destinés aux investissements autoroutiers, portuaires, aéroportuaires ou encore aux nouveaux zonings économiques ont été captés par la Flandre.

De la même manière, si l'on considère les investissements privés soutenus par l'Etat entre 1958 et 1960, seuls 8,6% des 3,25 milliards de francs investis par les entreprises américaines – pour ne citer que cet exemple - l'ont été en Wallonie, à une époque où le dirigisme étatique signifiait encore quelque chose.

Ce faisant, l’Etat belge a affaibli de manière spectaculaire l'économie wallonne et surtout, ses travailleurs dont la force de travail était pourtant unanimement reconnue.

Face à cette situation durement ressentie par la population wallonne, le mouvement syndical qui s'est soulevé durant l'hiver 1960 pour lutter contre les mesures d'économies gouvernementales a joué, sous l'impulsion de la FGTB d'André Renard, le rôle d'une véritable caisse de résonnance pour le mouvement wallon.

Après de nombreuses années de combat politique, la création de la Région wallonne fut donc, avant tout, une réponse à une revendication populaire nourrie par la frustration de vivre dans un État qui n'a jamais su tenir compte des besoins spécifiques de la Wallonie et lui apporter les moyens de son développement.

Il faudra attendre 1980 et plus encore 1993 pour que la Wallonie dispose enfin d'une autonomie réelle et d'une capacité à mettre en œuvre une politique économique adaptée à ses besoins. Même s'il était déjà bien trop tard (le taux de chômage wallon atteint alors les 18%), la Wallonie autonome engrange malgré tout de premiers résultats concrets : l'obtention des fonds européens par Guy Spitaels (qui joueront un rôle majeur dans la stratégie de reconversion wallonne), la mise en place d'une politique aéroportuaire wallonne par André Baudson, la finalisation des grands chaînons manquants au niveau des infrastructures puis, plus tard, le lancement du Contrat d'Avenir pour la Wallonie par Elio Di Rupo et celui du Plan Marshall par Jean-Claude Van Cauwenberghe et Jean-Claude Marcourt ont incontestablement contribué à redonner des perspectives aux Wallons.

Ainsi, chaque grande étape du combat wallon a été marquée par l’engagement du Parti socialiste. Sans lui, la Wallonie n’aurait jamais pu disposer des moyens de sa reconversion.

Aujourd'hui, dans une Belgique où les entités fédérées gèrent un budget équivalent à celui du pouvoir fédéral, dans un pays où l'identité flamande s'affirme chaque jour avec force, dans une Belgique où la place de Bruxelles et son statut de Région à part entière ne peuvent plus être remis en cause, il nous semble indispensable de donner plus encore aux Wallons les moyens de retrouver la prospérité tout en renforçant leur identité.

A l’évidence, les Wallons se doivent de définir un cap clair pour leur avenir.

Cet exercice commence par une clarification et une simplification des institutions francophones. Celles-ci auraient d’indéniables bénéfices tant en termes économiques qu’identitaires.

Le monde économique wallon est aujourd’hui en attente d'une politique éducative en phase avec ses spécificités, tout comme l’est le monde culturel.

C'est là le fruit d'une évolution logique et constatée partout : seules les régions disposant d'une identité forte et d'un lien étroit entre leurs politiques économique, éducative et culturelle peuvent assurer pleinement leur redressement.

Chez nous, l’exemple du transfert de la politique touristique de la Communauté française vers la Région wallonne et les autorités bruxelloises francophones l'a clairement démontré.

La Wallonie a ainsi pu investir pleinement dans ce secteur pour en faire un des outils de sa relance économique et de son renouveau urbain, tout en maintenant des liens étroits avec Bruxelles à travers l'asbl Wallonie-Bruxelles Tourisme. Ce secteur représente aujourd'hui 5% du PIB wallon et 60.000 emplois.

Au-delà de sa pertinence économique et de ses conséquences positives pour l'emploi, la régionalisation des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles aurait pour avantage de simplifier un paysage institutionnel peu lisible, empêchant le citoyen de s’identifier aux institutions qui le représentent.

La création de deux pôles régionaux forts et complémentaires, qui auront le devoir d'assurer ensemble la cohérence de leurs programmes scolaires et l'accessibilité de leurs institutions à tous les Francophones, est donc une évolution inéluctable de notre système politique.

Le PS doit, comme il l'a toujours fait, montrer le chemin à suivre et oser poursuivre l'engagement wallon qui ne lui a jamais fait défaut. Sa finalité doit être, comme il l’a toujours été, d'assurer le bonheur et la prospérité des Wallons, en leur donnant la possibilité de choisir ce qu'ils jugent bon pour eux et pour leur avenir.

Les socialistes se sont battus pour créer la Région wallonne et lui donner les moyens de sa reconversion économique, comme ils l’ont fait pour la Région bruxelloise.

Ils doivent aujourd'hui poursuivre leur mission dans le cadre d'une Belgique fédérale à laquelle les Wallons sont attachés et qu'il faut préserver, tout en garantissant l'épanouissement d'une identité wallonne ouverte et tolérante, complémentaire d'une identité belge avec laquelle elle s'inscrit en symbiose.


Christophe Collignon (chef de groupe), Nicolas Martin et Pierre-Yves Dermagne sont députés wallons PS