Jean-Claude Marcourt me semble avoir dit
essentiellement deux choses :
- sur le fond, la Wallonie
a 10 ans maximum devant elle pour retrouver tous ses atouts ;
- sur la forme, une amélioration de
l’efficacité institutionnelle est nécessitée par les évolutions économiques et
politiques constatées ces derniers mois ; cela passe par une meilleure
efficacité de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui doit être reconstruite sur
des bases améliorées.
Ces propos ont provoqué des réactions
très lyriques et très viriles. L’ampleur et le contenu de ces réactions sont
interpellantes et méritent certainement un commentaire.
Les critiques émises sont multiples et il
est sans doute bon de les examiner une à une :
1) les régionalistes wallons
veulent-ils renier l’accord politique qui a conduit à la formation des majorités
en Région wallonne et en Communauté française en 2009
?
Cet argument est totalement faux. Que du
contraire, lors des négociations en 2009, le point institutionnel central des
discussions a été l’abandon du concept de Communauté française pour celui de
Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette position (unanime d’ailleurs entre majorité
et opposition) est inscrite à de multiples reprises dans la déclaration de
politique régionale wallonne et dans la déclaration de politique
communautaire.
LIEN :
L’abandon du concept de Communauté
française repose sur deux idées : l’affirmation du fait régional, dans une
Belgique qui a oscillé très longtemps dans le choix entre un modèle basé sur les
Communautés ou un modèle basé sur les Régions ; le maintien d’une structure à
vocation de coupole, qui prendra la forme d’une fédération. Jusqu’à présent,
cette idée a été concrétisée par un changement de nom et d’appellation : la
Communauté française est morte ; la Fédération Wallonie-Bruxelles est née ! Aux
yeux des régionalistes, il est évident que si il ne s’agit que d’un ravalement
de façade, c’est de la poudre aux yeux. Le concept de Fédération
Wallonie-Bruxelles est au cœur des déclarations de politique de 2009 et il doit
être mis en œuvre. Cela doit se traduire par deux éléments : un transfert des
compétences maximum vers les Régions (essentiellement l’enseignement, la
culture, les medias), d’une part, et d’autre part une modernisation du
fonctionnement de l’institution (essentiellement une modification dans les
allocations de moyens via une transformation de la fonction publique et la
transformation du Parlement de la Fédération en une instance de concertation
entre entités fédérées sur le type du futur Sénat fédéral
belge).
2) préparer l’avenir wallon,
est-ce un acte de repli sur soi ?
Si les Wallons ne réfléchissent pas à
leur avenir et ne se prennent pas en mains, on dit qu’ils sont inactifs : c’est
le syndrome wallon de l’inertie ! Par contre, si les Wallons parlent de leur
avenir, on leur reproche une volonté de repli sur eux-mêmes. Il faut savoir ce
que l’on veut ! Arrêtons la politique de l’autruche et constatons que nous
n’avons pas le choix : il faut activement réfléchir à l’avenir wallon, pas dans
20 ans mais maintenant. Pour des raisons très simples :
- la crise économique :
sur ce plan, les Wallons ont déjà avancé avec notamment le plan Marshall et
l’esprit qu’il a développé autour de lui, mais ce n’est pas suffisant. Pour agir
efficacement, il faut des cohérences au niveau des compétences, cohérences qui
doivent être améliorées notamment dans la question de l’emploi et de
l’enseignement. Autre exemple : quand les conditions de crédit aux entreprises
wallonnes se durcissent, pensez-vous que les entrepreneurs ne souhaitent pas un
outil de financement wallon qui les soutienne davantage, sur le modèle de ce que
la KBC a fait pendant des années en Flandre ? Ne pas y réfléchir, est-ce
décemment préparer l’avenir ?
La crise économique est lourde et ne
permet pas de reporter la réflexion. Rien que pour cela, ne pas réfléchir à
notre avenir serait une faute.
- la révolution
copernicienne des accords fédéraux : les négociations fédérales ont accouché
d’une révolution copernicienne. Sur le plan du financement des Régions,
celles-ci ont 10 ans pour se trouver face à elles-mêmes. 10 ans, c’est très peu.
Ne pas réfléchir aujourd’hui à l’avenir de la Région wallonne, ce serait une
lourde faute ! Il faut arrêter la méthode « coué » et la politique de
l’autruche. Il y a beaucoup à faire. En avant.
- les échéances politiques de 2012 et
surtout de 2014 seront sans pitié pour les francophones. Il est vraisemblable
que la volonté flamande d’obtenir davantage d’autonomie ne s’arrêtera pas. Ce
n’est pas uniquement par l’action au fédéral que l’on parviendra à maintenir
l’unité du pays. Si les autonomistes flamands renforcent leur score en 2014
(élections régionales et fédérales conjuguées), et qu’à ce moment, les Wallons
et les Bruxellois ne sont pas prêts dans des compétences régionales fortes, nous
nous retrouverons devant un mur et il sera encore plus difficile de le franchir
que ce ne fut le cas après les élections fédérales de
2010.
Réfléchir activement à l’avenir wallon
est donc une nécessité pour ne pas nous retrouver enfermés demain : la Wallonie
a toujours été, culturellement et économiquement, une terre ouverte ; c’est lié
à sa position géographique, à son histoire et à son état d’esprit. Son avenir
doit être ouvert. Réfléchir à notre avenir activement aujourd’hui, c’est tout le
contraire d’une politique de repli sur soi !
En tant que wallon, l’accusation rapide
et facile de repli sur soi est d’ailleurs très blessante et est ressentie par
les Wallons comme une réponse méprisante, un peu à la manière dont les flamands
ont ressenti pendant des décennies l’arrogance des milieux francophones à leur
égard.
Nos amis bruxellois devraient d’une façon
générale, avoir plus de respect pour l’identité wallonne : Bruxelles n’est pas
le centre du monde ; les Wallons ont toujours été solidaires des Bruxellois,
ceux-ci doivent s’en souvenir et peut être, réfléchir à la manière d’aider la
Wallonie aussi. Dans un couple, la relation ne doit pas être à sens
unique.
La réflexion sur l’avenir de la Wallonie
n’est pas un réflexe identitaire ou nationaliste : c’est une
nécessité.
3) selon certains, ce n’est pas le
moment de parler d’institutionnel : le débat sur la fédération
Wallonie-Bruxelles n’est donc pas opportun !
Ceux qui affirment cela oublient
essentiellement trois choses :
- l’accord de majorité
régional et communautaire prévoit cette évolution (cf. ci-dessus) : il faut
simplement l’appliquer ;
- certains parmi les plus virulents sur ce
thême sont ceux qui exigent une réforme des provinces par exemple : il s’agit là
aussi d’une réforme institutionnelle, et elle est sans doute moins importante
pour l’avenir wallon, ou en tout cas, moins urgente c’est une évidence ; en
plaidant la chose et son contraire, ceux là font donc preuve d’un art du grand
écart digne des meilleurs gymnastes olympiques ;
- ils oublient aussi l’importance et
l’impact des effets des négociations fédérales : il y a une révolution
copernicienne institutionnelle en cours, qui sera d’application pour 2014 au
plus tard : faut-il faire comme si rien ne s’était passé depuis les accords de
2009, et conserver notre bonne vieille culture du tabou et de la politique de
l’autruche ?
4) le lien Wallonie-Bruxelles
doit-il être abandonné ?
Personne ne parle de cela ; agiter cet
épouvantail, c’est constituer un masque de fumée devant la
réalité.
Même si parfois, les Wallons ont le
sentiment que le lien est à sens unique, même si parfois les Wallons ressentent
dans les propos des Bruxellois à leur égard une réminiscence de la vieille
culture francophone belge qui a dominé les peuples wallon et flamand pendant des
décennies, ce lien doit être maintenu. Maintenu, oui mais amélioré et aménagé
compte tenu de l’évolution des besoins et des contraintes
extérieures.
Il est clair que la Wallonie et Bruxelles
ont des liens culturels, et que la défense des francophones dans l’Etat belge
nécessite une coordination étroite des politiques. Il est évident que des
intérêts économiques communs existent. Chacun en est conscient. Evoquer une
amélioration de l’efficacité du lien entre la Wallonie et Bruxelles, ce n’est
certainement pas prôner l’abandon du lien privilégié entre les deux
institutions. Il faut non pas abandonner la fédération, mais la reconstruire, en
mettant en œuvre le concept repris dans les déclarations de politique générale
adoptées en 2009 par le Parlement wallon et le Parlement de l’ex-Communauté
française.
5) quel peut être l’avenir de la
Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Sur le plan institutionnel, l’avenir de
la Fédération Wallonie-Bruxelles est d’être une fédération (ce qui dit très bien
ce que cela veut dire), dont les vocations premières sont la coordination des
politiques spécifiques menées, et la défense des droits des francophones au sein
de l’Etat belge. Les compétences actuellement du ressort de la Fédération
doivent être confiées aux Régions (surtout l’enseignement et la culture), et
coordonnées entre les deux régions via une structure gouvernementale et
parlementaire à vocation de coupole. Les structures doivent être réformées : qui
niera la lourdeur excessive dans le travail parlementaire des séances au sein du
Parlement de la Fédération actuellement ? Faut-il mobiliser plus de 90 députés
une semaine sur deux, avec tout l’appareil administratif qui s’y associe, pour
être efficace ? Ces questions sont-elles tabous ? Pourquoi ne pas les aborder en
toute lucidité ? La même réflexion doit être menée en ce qui concerne
l’affectation des moyens, via une réflexion sur la fonction
publique.
La Wallonie doit développer ses atouts
géographiques au travers d’une politique d’ouverture internationale active. Nous
avons intérêt à travailler de façon coordonnée sur le plan économique avec les
Bruxellois, c’est une évidence, mais nous devons aussi travailler pleinement
avec les deux moteurs économiques puissants qui sont à nos frontières : la
Flandre et l’Allemagne. L’avenir de la Wallonie est à une position
institutionnelle à géométrie variable, sur le modèle en cours de développement
autour de la métropole lilloise par exemple. La réflexion sur notre avenir n’est
pas un repli sur soi.
6)
commentaire
L’avenir n’est pas à la politique de
l’autruche. Il n’est pas non plus à la tension entre Communautés ou Régions. Il
est à la lucidité et à l’action. Les Wallons ne pourront compter que sur
eux-mêmes pour en sortir. Qu’on ne leur reproche pas d’en avoir pris conscience
clairement !
Marc BOLLAND
Député
wallon
Le 19 janvier
2012