dimanche 16 décembre 2012

AVIS DE CLAUDE DEMELENNE ET DE PHILIPPE DUTILLEUL

En page Forum du « Soir » du jeudi 19 février 2009, David Coppi interroge Claude Demelenne et Pilippe Dutilleul
 
Finie la Belgique ? Deux ouvrages se lancent : Claude Demelenne plaide pour un régime d’association à la France ; et Philippe Dutilleul, qui avait conçu l’émission « Bye bye Belgium » (RTBf), pour un modèle confédéral, de la dernière chance
Claude Demelenne : « Il vaut mieux se séparer avant de se détester »
Récemment, dans nos colonnes, Joëlle Milquet a lancé un appel aux intellectuels pour qu’ils s’impliquent dans la cité…Ce livre, modestement, c’est ma contribution. Les intellectuels, au sens large – pas seulement les constitutionnalistes – ne réfléchissent pas assez à l’avenir de la Belgique. Voire à l’après-Belgique si, comme je le crains, notre Etat fédéral se bloque pour de bon, à court ou moyen terme. Dans mon livre, j’explique pourquoi cette après-Belgique pourrait bien être, aussi, l’affaire de la France.L’« après-Belgique » ? Pour vous, les jeux sont faits, non ?Elle est pratiquement en état de mort clinique. Elle survit, elle ne vit plus. Citez-moi une seule réforme d’envergure menée à bien par le gouvernement fédéral depuis les élections de juin 2007 ! Hormis la tentative – tout sauf brillante, on l’a vu – de sauver les banques dans l’urgence. Que ce soit avec Leterme ou Van Rompuy, c’est la paralysie, le Royaume est figé. C’est le règne de la médiocrité, qui n’est pas le fait de nos gouvernants, mais du contexte belge. En fait, en Belgique, la politique a disparu. Les Belges sont orphelins de la politique. Tout simplement parce que la majorité des partis flamands n’a qu’une obsession : tout scinder, transformer l’échelon fédéral en une coquille vide. Et conserver une vitrine belge, pour ne pas perdre Bruxelles. Tous les débats sont parasités par cette revendication nationaliste.Mais nous évoluons dans un modèle « fédéral », où les Régions ont grandi, qui a été négocié, accepté, par tous…Mais pour moi, le fédéralisme est un échec historique. Il devait apaiser les tensions. C’est encore pire qu’avant. Ce pays, j’y ai cru, notamment à cause du modèle social belge, largement façonné par la gauche. Mais aujourd’hui, je me dis qu’il vaut peut-être mieux se séparer avant de se détester. Et ne pas exclure un divorce par consentement mutuel. Car le paysage politique flamand est de plus en plus inquiétant : plus d’un Flamand sur deux vote pour un parti confédéraliste, autonomiste ou clairement séparatiste. Et cette radicalisation va s’accentuer aux régionales de juin, avec la percée de la liste Dedecker.Votre « après-Belgique » à vous est… française.Si la Belgique implose, les francophones choisiront sans doute de s’associer avec la France, comme le suggère d’ailleurs un sondage du Soir, de juillet 2008. Pas nécessairement par amour de la France. Mais par pragmatisme. Les obstacles à ce que j’appelle la « Belgique française » – plus exactement la Wallonie et Bruxelles français – seraient nombreux. Je les analyse longuement dans mon livre, sans les minimiser, contrairement à certains rattachistes émotionnels, qui cèdent au romantisme et sous-estiment les pesanteurs de l’Histoire. Mais l’association avec la France, c’est le seul scénario crédible si la Belgique implose. Et la France ne dira pas non. Parce que les deux parties seront gagnantes, j’explique pourquoi dans mon livre.Deux – principaux – obstacles à ce scénario français : l’Europe et le cas de Bruxelles.La diplomatie européenne, selon certains, fera pression, surtout sur la Flandre, pour empêcher l’éclatement de la Belgique, qui pourrait donner des mauvaises idées aux autonomistes basques, catalans, corses, écossais… du continent. Moi, je n’en suis pas sûr. Car rien ne serait pire pour l’Union qu’une Belgique paralysée et chaotique, en plein cœur de l’Europe. Quant à Bruxelles, s’ils rendent la Belgique impossible à cause de leurs revendications autonomistes, les Flamands la perdront. Ils devront se choisir une autre capitale. L’Europe imposera une consultation des populations et il est impensable que les Bruxellois choisissent d’intégrer l’Etat flamand. Un mini-Etat wallon et un mini-Etat bruxellois rebaptisé district, voire un mini-Etat Wallonie-Bruxelles ? Cela ne tient pas la route. Reste, donc, la « solution française ».Il y a, selon vous, douze bonnes raisons de croire à cette « solution »... L’argument le plus évident tient à nos points communs : nous parlons la même langue, nous partageons la même culture, les mêmes valeurs. Economiquement aussi, cela tient la route. C’est peu contestable pour la Wallonie, qui bénéficiera de la solidarité nationale, au même titre que les autres régions françaises. Globalement, les transferts financiers interrégionaux sont plus élevés en France qu’en Belgique, peu de gens le savent. Politiquement, les Belges francophones y gagneront car dans la Belgique actuelle, leur position est un peu humiliante. En football, on dirait qu’ils « gèlent la balle ». Ils essaient de gagner du temps, de freiner les revendications flamingantes. Ils disent qu’ils sont d’accord de négocier une « grande réforme de l’État ». Ils font semblant, bien sûr, car ils ne sont pas masos. Dans le contexte belge actuel, ils n’ont pas d’autre choix que d’être hypocrites. Ce n’est pas glorieux. Jamais une équipe de foot jouant la défense à outrance ne déclenchera l’enthousiasme des supporters.Enfin, dans la République, la Wallonie aura enfin un projet mobilisateur : enrayer la spirale du déclin, à l’instar des métropoles voisines de Lille et de Valenciennes, qui ont réussi leur reconversion économique grâce aux efforts impulsés par l’Etat françaisQuel rapport, tout cela, avec l’engagement d’un « homme de gauche » ?Mon attachement à la Belgique, je l’ai dit, était lié à son modèle social. Or, celui-ci se fissure. Philippe Dutilleul : « Il nous faut un projet, un sens... J’y crois encore »La Belgique se perd, et vous le regrettez…J’ai pour elle un mélange d’amour-haine. Je pense au problème communautaire, un abcès grave, mais pas seulement : dans mon livre, j’explore une Belgique souterraine, celle des « Tueurs du Brabant wallon » notamment, et d’autres phénomènes qui montrent tous un malaise profond, comme l’emprise d’une certaine particratie, l’étouffement du débat politico-démocratique, notamment à cause de la question communautaire, etc. J’en appelle à un sursaut : si ce pays veut encore vivre décemment, il faut qu’il ait un sens, un projet, et que l’on sorte une fois pour toutes du nœud institutionnel.« Une fois pour toutes » : vous parlez d’une « bombe atomique institutionnelle », une solution définitive, celle du « confédéralisme »... Oui. Je plaide pour une Belgique exclusivement à quatre Régions : flamande, bruxelloise, wallonne et germanophone, qui auraient un maximum d’autonomie. Notre système belge est sclérosé, arrêtons de faire des compromis boiteux, et basculons vers un autre, régional.Qu’est-ce qu’on garderait en commun ? Un filet de sécurité sociale. Et, au-dessus de l’édifice, un ministre-président, ou un président, peu importe le terme, qui représenterait tout le monde, qui serait élu au suffrage universel dans tout le pays, et qui le symboliserait dans son ensemble. Tout cela pour une Belgique dite « confédérale » – quoique le terme soit impropre, les constitutionnalistes vous le diront – en définitive. C’est une suggestion. Je ne suis pas un homme politique.Vous parlez d’une « confédération des peuples ”belges” », vous imaginez un ministre-président commun… Au fond, malgré tout, vous revenez à des concepts… unitaristes. Vous ne trouvez pas ?Sauf que je plaide pour l’existence de quatre Régions qui opéreraient dans un schéma vraiment confédéral : chacun maître chez soi. C’est l’essentiel. Quant au filet de solidarité commun, et au personnage qui symboliserait, à l’intersection des quatre entités, cet ensemble confédéral, et qui serait élu au suffrage universel, c’est pour donner un sens au « pays ». Mais loin de moi l’idée du retour à l’« unité ».Vous dites, en somme : donnons encore une chance à un projet commun…Oui. Nous, francophones comme Flamands, avons, je crois, beaucoup à perdre dans la rupture et la séparation. Mais je dis aussi : si ce n’est plus possible, alors, divorçons. À l’amiable. Là, je ne m’avance pas sur le sort de chacun dans ce divorce. On connaît le problème bruxellois, et je ne vois, à cet égard aucune bonne solution, qui pourrait être partagée, faire consensus. Il y a enfin le problème économique : se séparer, cela coûtera très cher, surtout pour celui qui aura provoqué la rupture. Dans le climat de crise actuel, je ne vois pas trop qui prendra le risque. J’ajoute que la population ne veut pas cette rupture. D’où l’idée d’un projet de type confédéral, comme je l’évoque dans mon ouvrage.Où vous abordez aussi le problème BHV (pour Bruxelles-Hal-Vilvorde). À ce propos, vous vous raidissez. C’est un casus belli.En effet. BHV est plus qu’un symbole. Si nous cédons sur BHV, nous lâchons les francophones de la périphérie bruxelloise. Inacceptable. Les Wallons, qui doutent parfois, doivent comprendre qu’il ne s’agit pas d’un combat marginal pour le privilège des quelques bourgeois francophones qui ne veulent pas apprendre le flamand… Dans cette sous-région du Brabant, on a des communes à majorité francophone, ou alors de fortes minorités, et je comprends absolument que ces gens-là, même à la deuxième ou à la troisième génération, n’ont pas envie d’être assimilés. La solution de bon sens, c’est de faire un Brabant bilingue, ou une grande Région bruxelloise bilingue, mais les Flamands n’en veulent pas.La réforme de l’Etat reste au point mort…Je me méfie du concept de « dialogue de communauté à communauté ». Un contre un… C’est un mauvais scénario. Je suis un régionaliste convaincu. Je vois quatre Régions autonomes. Avec des passerelles entre la Wallonie et Bruxelles. Mais la sociologie bruxelloise est très différente de la wallonne et de la flamande. Bruxelles commence à avoir un caractère spécifique, et il va s’affirmer. Prenez les Flamands de Bruxelles, ils ne sont pas comme les Flamands de Flandre. Ajoutez que ce schéma à quatre obligera les Wallons d’autant plus à produire des efforts pour relever leur Région. Le redressement wallon – et Louis Michel l’a dit avant moi – étant l’une des conditions au maintien d’une Belgique, d’un pays, sous l’une ou l’autre forme.Dans quel délai doit-on, selon vous, mettre concrètement en chantier cette Belgique nouvelle, peut-être « confédérale », de la dernière chance ?Franchement, il n’y a pas de délai. On ne peut plus continuer à être gouvernés comme nous le sommes, avec un niveau fédéral insatisfaisant. Ça ne peut plus durer. Il faut trancher.De « Bye bye Belgium » à cet « asile de flou »…, quelle évolution ?Un prolongement de ma réflexion, simplement. Mon livre est un peu nostalgique, je l’avoue : entre l’image que j’ai de la Belgique et ce qu’elle est en réalité ; entre le pays modèle qu’elle pourrait être et ce qu’elle est aujourd’hui. Mon propos est celui-ci : faisons notre deuil d’une Belgique qui n’existe plus, mais ouvrons-nous à un nouveau projet, qui lui donnera un sens.
20.2.09

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