mercredi 19 décembre 2012

PAS EN NOTRE NOM !...ET POUR LES FRANCOPHONES LA MEME CHOSE

Huit Bruxellois francophones apportent leur soutien aux artistes flamands et défendent leur vision de Bruxelles dans une carte blanche publiée dans Le Soir et rapportée également dans De Standaard.

Le 21 janvier dernier, de nombreux artistes flamands se sont réunis au KVS, le théâtre flamand de Bruxelles, pour dénoncer le nationalisme mesquin et clamer que ceux qui le promouvaient ne parlaient pas en leur nom. Nous rendons hommage à cette initiative qui apporte un démenti spectaculaire à l'image monolithique et caricaturale souvent faite des « Flamands », en Belgique francophone comme à l'étranger. Nous rendons hommage, plus globalement, à une institution comme le KVS qui a fait beaucoup ces dernières années pour faire apprécier la culture flamande par des non-néerlandophones et contribué magistralement à enrichir la vie culturelle bruxelloise.
Pour l'initiative courageuse qu'il a prise, le KVS est aujourd'hui interpellé au Parlement flamand. Le moment est dès lors venu pour nous, Bruxellois « francophones » signataires de ce texte, de faire preuve de solidarité en disant à notre tour « Pas en notre nom ! ». Mais attention, cette exclamation ne s'adresse pas au nationalisme flamand : ce serait trop banal et trop facile. Il s'adresse au communautarisme d'une partie des politiques francophones dont l'immobilisme crispé, la myopie, le refus ou l'incapacité de repenser en profondeur notre avenir ont trop souvent contribué à faire le lit du nationalisme flamand.
Pour commencer, nous refusons de considérer notre Ville-Région comme un territoire essentiellement francophone où les minorités linguistiques, aimablement tolérées, n'auraient qu'à s'assimiler. Bruxelles est et sera toujours plus la capitale cosmopolite de l'Union européenne et une petite ville mondiale nourrie d'une immigration plus lointaine. Que le français soit ou non notre langue maternelle, notre éducation nous a doté d'un lien profond avec la culture francophone et la langue française. Mais la culture flamande et la langue néerlandaise sont et doivent rester des composantes tout aussi essentielles de l'identité bruxelloise. Très loin de vouloir éradiquer le néerlandais de Bruxelles, nous jugeons capital, pour l'avenir des jeunes Bruxellois de toutes origines, qu'ils l'apprennent incomparablement mieux que leurs aînés, qu'ils soient fiers de pouvoir le parler, qu'ils en fassent une partie d'eux-mêmes.
En outre, nous considérons comme légitime d'attendre de ceux qui s'installent durablement en Flandre, comme de ceux qui s'installent durablement en Wallonie, qu'ils aient le courage et l'humilité d'apprendre la langue officielle de leur région. Nous comprenons que la scission de BHV ait pu être interprétée de part et d'autre comme une reconnaissance symbolique de cette légitimité. Et nous récusons dès lors l'acharnement irresponsable avec lequel les partis francophones se sont opposés à cette scission, attisant par là l'exaspération des partis flamands, au lieu de se mettre d'emblée en quête d'un compromis raisonnable.
Sur cette base, on pourra enfin voir germer la confiance mutuelle indispensable pour construire ensemble un avenir décomplexé pour notre ville et pour notre pays. En particulier, il doit alors devenir possible de mettre fin aux surcoûts créés, dans divers domaines, par la juxtaposition d'institutions unilingues ; de développer, sous l'égide de la Région bruxelloise et en collaboration étroite avec les systèmes scolaires flamand et wallon, un enseignement multilingue efficace adapté à la mosaïque des origines sociales et culturelles de nos élèves ; de développer à Bruxelles une activité culturelle qui ne soit plus handicapée par le clivage communautaire tout en continuant d'y accueillir à bras ouverts les productions artistiques flamandes et wallonnes ; de réorganiser le scrutin régional de manière à supprimer la séparation entre deux collèges unilingues ; de mettre à l'étude sans tabou, la fusion des dix-neuf communes bruxelloises en une Ville-Région, couplée d'emblée avec la création de districts/arrondissements (comme à Anvers ou à Paris) correspondant en gros aux actuelles entités communales et compétents pour les matières que le principe de subsidiarité recommande de leur confier ; et d'instaurer des modalités inédites de coopération avec les villes et communes du Brabant flamand et du Brabant wallon, en particulier en matière de mobilité et d'aménagement du
territoire.
Nous ne croyons pas plus à une Nation francophone qui inclurait Bruxelles qu'à un Groot-Vlaanderen qui l'annexerait. Nous croyons encore moins, faut-il le dire, à un « condominium » de Bruxelles par la Flandre et la Wallonie ou par les deux Communautés. Comme Johan Vande Lanotte, Rudi Demotte et bien d'autres, nous croyons qu'il faut avancer vers une fédération faite de quatre régions autonomes et responsables. Chacune d'elles devra jouir de l'ensemble des compétences défédéralisées, tout en collaborant structurellement avec les autres dans les matières où cela s'impose et en pouvant compter sur un Etat fédéral vigoureux qui garantisse fermement la solidarité interpersonnelle et interrégionale et fournisse un cadre légal commun partout où l'efficacité l'exige. Du côté francophone, cette marche est trop entravée par une nostalgie déplacée à l'égard de la Belgique unitaire, un repli « ethnique » sur la Belgique bicommunautaire et une frilosité chronique à l'égard de tout changement. Pareille frilosité est compréhensible, mais en fin de compte gravement contre-productive
Dans l'intérêt de toute la population du pays, et en particulier de ses composantes les plus vulnérables, il est aujourd'hui important de se ressaisir. Pas pour creuser de nouvelles tranchées autour du front francophone. Mais pour créer entre les deux communautés, et d'abord à Bruxelles, une relation de confiance indispensable pour pouvoir affronter, avec des moyens que la crise empêchera d'être généreux, des défis urgents qui n'ont que faire de nos querelles. Ce dont nous avons besoin à Bruxelles, c'est d'une révolution copernicienne dans l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Au lieu de laisser parler en notre nom des « fronts francophones » comme des « fronts flamands », il s'agit de nous respecter mieux nous-mêmes dans notre précieuse et irréductible diversité. C'est ainsi que nous pourrons faire de Bruxelles une meilleure capitale de l'Europe, une ville mieux à même d'aider et protéger ses habitants les plus fragiles et une meilleure partenaire pour ses deux grandes voisines.
Jacques Borlée, Etienne de Callatay, Eric Dekeuleneer, Alain Deneef, Serge Fautré, Henri Goldman, Philippe Van Parijs et Fatima Zibouh
27.2.11

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