dimanche 16 décembre 2012

"DEUX PILIERS POUR UNE BONNE GOUVERNANCE"



Carte blanche de Robert Deschamps et Alexandre de Streel, professeurs aux FUNDP, dans « Le Soir » du mardi 7 juillet 2009

 Aujourd’hui, on parle beaucoup de bonne gouvernance. Elle devrait même être une ligne de force des prochains gouvernements régionaux en Wallonie et à Bruxelles. On peut s’en réjouir. La bonne gouvernance est une des clefs pour rétablir la confiance entre les citoyens et leurs mandataires politiques, pour assurer et pérenniser des services publics de qualité, et pour motiver les fonctionnaires. Mais la bonne gouvernance recouvre de nombreux aspects et actuellement on parle surtout d’interdiction de cumul entre certains mandats publics, de la lutte de conflit d’intérêts des mandataires publics, ou de réorganisation de certains niveaux de pouvoirs comme les provinces en Wallonie.

A notre estime, deux piliers fondamentaux de la bonne gouvernance devraient également être abordés dans les déclarations de politiques régionales à venir : l’évaluation des politiques publiques et la responsabilisation de l’administration.

L’évaluation de politiques publiques est sûrement une des clefs de leur succès puisqu’elle permet d’examiner si les objectifs d’une politique ont été atteints et, sur base de ces enseignements, d’améliorer les politiques. Et pourtant, les comparaisons internationales montrent que la Belgique se classe mal en matière d’évaluation, alors que d’autres pays comme l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas, ou la Suisse sont parmi les meilleurs. Pour remédier à notre faiblesse, nous suggérons de renforcer sensiblement l’évaluation des politiques régionales en adressant trois questions : Comment évaluer ? Quand évaluer ? Qui doit évaluer ?

Premièrement sur la méthode, l’évaluation ne peut pas se limiter à vérifier si des ressources prévues ont été dépensées, elle doit aller plus loin et examiner si les objectifs des politiques ont été atteints ainsi que leurs impacts sur le bien-être des citoyens. Dans certains cas, l’évaluation peut impliquer une comparaison des effets des politiques entre différents pays comme cela se pratique de plus en plus au niveau international et de l’Union européenne. Par exemple, les enquêtes Pisa permettent de comparer les effets des politiques d’enseignement entre les pays de l’OCDE pour pouvoir ensuite les améliorer en s’inspirant notamment des pratiques dans les meilleurs pays. Au sein même de la Belgique, on pourrait tirer parti de la régionalisation croissante et de la différenciation accrue des politiques pour comparer davantage les résultats interrégionaux de ces politiques. Cela permettrait de mieux exploiter un bénéfice de la régionalisation et, en même temps, de renforcer le dialogue et la coopération entre les Régions, garants du maintien de la fédération belge. Dans d’autres cas, l’évaluation peut être plus complète, mais également plus complexe, et analyser tant l’efficacité que l’efficience des politiques selon la terminologie classique utilisée notamment par la Cour des comptes. L’efficacité consiste à examiner si les objectifs ont été atteints. L’efficience consiste à

examiner si les objectifs ont pu être atteints avec une utilisation optimale des ressources financières, humaines et matérielles.

Deuxièmement sur les conditions d’application, l’évaluation devrait être systématisée pour chaque politique régionale d’importance. En particulier pour les nouvelles politiques, cela implique qu’elles ne pourraient être lancées que si, préalablement, un processus d’évaluation a été défini et reconnu valable.

Enfin sur la question de l’évaluateur, l’important est son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et de l’administration, pour ne pas être en même temps juge et partie, et son expertise. Il faut également éviter la création de nouveaux organes dans un paysage institutionnel francophone déjà fort chargé. Ainsi, l’évaluation pourrait être confiée à la Cour des comptes ou à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, pour autant que son indépendance formelle soit élevée au niveau de celle de la Cour des comptes et que son expertise en matière d’évaluation soit renforcée. Le rôle de ces institutions devrait donc être sensiblement accru.

L’évaluation ne suffira pas, il faut encore que l’administration soit efficace. Or les fonctionnaires, comme tout être humain, ne peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes que s’ils sont motivés. C’est un chantier long et complexe qui nécessitera de nombreuses réformes. L’une d’entre elles pourrait être de suivre l’exemple américain du « spoil system ». Le président des Etats-Unis qui entre en fonction désigne une partie des hauts fonctionnaires (environ 8.000) pour occuper les postes clés de l’administration fédérale pendant la durée de son mandat. Les principaux d’entre eux doivent être confirmés par le Sénat. Cette formule présente le double avantage de motiver les responsables de l’administration et, en même temps, d’assurer une loyauté de la part de ceux-ci au politique, puisqu’ils sont chargés de préparer et de mettre en œuvre la politique du président qui les a nommés. Un système similaire pourrait être mis en place en Belgique, tant au niveau fédéral qu’à celui des entités fédérées. Les ministres n’auront alors plus à s’entourer d’un large cabinet qui prive parfois les principaux fonctionnaires de responsabilité suffisante.
Les futurs gouvernements régionaux feront face à une situation budgétaire extrêmement difficile à court terme mais également à moyen et long terme puisque derrière la crise économique actuelle se profilent une crise environnementale et une crise de vieillissement qui coûteront bien plus cher que la crise financière. En même temps, ces gouvernements feront face à des attentes grandissantes des citoyens, inquiets du contexte économique et politique actuel. La bonne gouvernance est sans nul doute une partie des réponses à ces défis. Et les deux piliers en sont des politiques évaluées et une administration responsabilisée.

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