dimanche 16 décembre 2012

"IRONS-NOUS TOUS AU PARADIS ? "


Article de Robert Deschamps, professeur aux Facultés universitaires de Namur, dans « La Libre Belgique" du 25 février 2009

La Wallonie rattachée à la France, les problèmes que vivent les Wallons (emploi, croissance économique, enseignement, finances publiques ) deviendront-ils moins graves ? On se berce d’illusions.

Depuis quelque temps, le rattachement de la Wallonie à la France est régulièrement évoqué comme une solution à nos problèmes institutionnels. Qu’en penser ? Plus précisément, la Wallonie se trouverait-elle mieux dans ce cas et les problèmes que vivent les Wallons (emploi, croissance économique, enseignement, finances publiques ) disparaîtront-ils ou en tout cas deviendront-ils moins graves ?Cette proposition a été remise à l’ordre du jour il y a quelques années par d’anciens hommes politiques wallons. Elle est trop souvent traitée à la légère, et avec plus d’émotion que de réflexion. Sa popularité est gonflée par une exploitation douteuse de sondages. Elle suscite un intérêt amusé, voire condescendant, de la part des médias français, où l’on parle plutôt d’annexion.Cette perspective séduit : la Wallonie connaît de sérieux problèmes; si elle est rattachée à la France, ces problèmes seront pris en charge par celle-ci, et seront résolus sans efforts ni difficultés pour nous. Nous n’aurons plus à nous y attaquer nous-mêmes, comme c’est le cas dans le cadre belge. En fait, on se berce d’illusions. Il s’agit en réalité d’une attitude de renoncement qui revient à confier au gouvernement français l’avenir de la Wallonie au lieu de prendre nous-mêmes les décisions difficiles, certes, mais nécessaires.Comment pourrait se réaliser ce rattachement ? Parcourons-en rapidement les étapes.Il faudra tout d’abord que la Wallonie se détache. On sait que la scission du pays entraînera un coût élevé pour la Wallonie en termes d’emploi et de croissance économique, pour une double raison :- La négociation de la scission, et en particulier le partage de la dette publique fédérale, le partage de la fiscalité, un accord difficile à propos de Bruxelles;- Le détricotage des relations économiques interrégionales; citons par exemple le fait que 30 pc des entreprises de plus de cent travailleurs ont des sites de production dans au moins deux régions; une scission du pays aurait des conséquences fort dommageables pour leur activité économique et pour l’emploi.Ensuite, nous nous adresserons à la France en demandeurs. Nous ne serons pas en situation de négocier et le rattachement se fera donc aux conditions fixées par la France sans que celle-ci soit tenue d’en assumer une partie du coût. L’expérience des négociations entre entreprises des deux pays depuis 25 ans est instructive à cet égard.Enfin, nous n’aurons alors plus rien à dire et les décisions concernant la Wallonie seront prises par le gouvernement français. On connaît le centralisme hexagonal et le potentiel de concentration de la prise de décision au niveau de la présidence de la République. Nous ne pourrons plus traiter nous-mêmes les problèmes de la Wallonie en fonction de nos objectifs propres, mais il nous faudra subir les décisions prises sans nous. Le système français s’appliquera. Citons-en quelques exemples. Le taux d’encadrement dans l’enseignement obligatoire y est de 30 pc inférieur au nôtre. Les salaires et revenus de remplacement n’y sont pas indexés. Les négociations salariales n’y sont pas du tout structurées en trois niveaux (national, sectoriel, par entreprise) comme chez nous, mais les relations sociales sont plutôt archaïques avec des syndicats ne représentant que 7 pc des travailleurs. L’autonomie régionale y est très faible : les compétences d’une Région de population comparable à la nôtre sont, en moyens budgétaires, vingt fois inférieures à celles que nous exerçons. Est-ce cela que nous voulons ?Il y a bien mieux à faire, mais pour cela nous devons nous saisir nous-mêmes de nos problèmes; nous disposons de beaucoup d’autonomie de décision et d’importants moyens budgétaires dans le cadre du fédéralisme belge tant sur le plan régional que communautaire ainsi qu’au niveau fédéral où la moitié des ministres sont francophones.De plus, il est possible, souhaitable et urgent de réformer le système fédéral dans le sens d’une plus grande responsabilisation et coopération entre les Régions, au bénéfice de la croissance soutenable et de l’emploi. Il conviendrait de reprendre au plus tôt les négociations; des progrès sérieux peuvent être accomplis, notamment dans le domaine de la politique de l’emploi et dans celui du financement.Attelons-nous à cette entreprise, difficile certes mais combien plus intéressante. Si d’aventure - et malheureusement - nous n’avions pas le courage ou pas la volonté de le faire, il nous faudrait alors choisir un colonisateur qui viendrait décider à notre place. Nous n’aurions pas de quoi être fiers. Lequel des pays voisins choisir ? Ce n’est pas évident, et toutes les sous-régions de Wallonie ne feraient vraisemblablement pas le même choix.

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