dimanche 16 décembre 2012

"BIENTOT LA FIN DES PARTIS ETHNIQUES A BRUXELLES ?"

« Carte blanche » de Philippe Van Parijs dans « Le Soir » du mercredi 27 mai 2009

Bizarre, diront certains. Inacceptable, diront d’autres. Parcourez les panneaux électoraux bruxellois et vous ne tarderez pas à découvrir que la plupart des partis néerlandophones mènent aussi campagne en français. Pour le Parlement bruxellois, pour le Parlement européen, même pour le Parlement flamand.Et après tout, pourquoi pas ? On trouverait déplacé, inquiétant même, si les turcophones, arabophones ou lingalophones, avantageusement placés sur diverses listes, ne quémandaient et ne recueillaient de votes que parmi ceux qui partagent leur langue maternelle. Or, si pareil vote « ethnique » est suspect, si le « communautarisme » qu’il implique est jugé détestable, pourquoi n’en irait-il pas de même lorsqu’il s’agit de nos deux « ethnies » nationales ? Pourquoi n’applaudirions-nous pas lorsque des candidats néerlandophones se donnent la peine de courtiser les électeurs francophones et inversement ?Pourquoi n’appellerions-nous pas de nos vœux le démantèlement du carcan communautariste dans lequel les partis politiques bruxellois se sont laissés enfermer. En Flandre et en Wallonie, le Sp.A ou Ecolo, par exemple, s’adressent à tous ceux qui partagent leurs convictions. Ils n’y sont pas des partis ethniques. A Bruxelles, ils le sont.Peut-on espérer que cela change bientôt ? Il semble que oui. Organisés dans le prolongement de l’appel des 10.000 Bruxellois de décembre 2006 (Nous existons/ Wij bestaan/ We exist), les Etats généraux de la société civile bruxelloise ont réuni près de trois mille Bruxellois entre janvier et avril 2009 pour discuter des grands défis auxquels Bruxelles est confrontée.Lors de la séance de clôture du 25 avril, les huit têtes de liste des principaux partis bruxellois ont eu à répondre à la question suivante : Vous vous trouvez à côté de quelqu’un qui à la fois appartient à la même famille politique et est citoyen de la même ville que vous. Et pourtant vous n’êtes pas membres du même parti. Estimez-vous probable et/ou souhaitable que vous le deveniez bientôt ?Pascal Smet (SP.A) a ouvert le feu en exprimant son vif souhait de voir naître un vrai parti bruxellois progressiste qui inclurait aussi des personnes appartenant aujourd’hui au PS, à Ecolo ou au CDH. Charles Picqué (PS) a embrayé en disant sa conviction que c’est le partage d’une idéologie et non d’une langue maternelle qui doit rassembler des gens au sein d’une même formation. Sven Gatz (Open VLD) a déclaré ne pas exclure qu’avant la fin de son existence, voire de sa carrière politique, il puisse se retrouver dans le même parti que les libéraux francophones. Pour avancer dans cette voie, il propose d’attribuer à chaque électeur bruxellois deux votes aux régionales, une à exprimer sur une liste néerlandophone et une sur une liste francophone.Armand De Decker (MR), pour sa part, a estimé anormal qu’il existe des fédérations de partis européens, alors qu’il n’existe rien de semblable au niveau belge. Ce n’est pas tout à fait vrai, ont rétorqué en chœur Christos Doulkeridis (Ecolo) et Bruno Delille (Groen !) en usant symboliquement du même micro pour rappeler que c’est le même programme que leurs deux listes défendent aux régionales. Steven Van Ackere (CD&V) a demandé d’être jugé sur ses actes, en l’occurrence son élection comme conseiller communal sur une liste commune avec le CDH. Enfin, Benoît Cerexhe (CDH), tout en se réjouissant d’avoir lui aussi figuré sur une liste bilingue, n’en a pas moins jugé prématuré d’envisager l’avènement d’un parti bruxellois réunissant les deux formations : les divergences sont trop fortes en matière communautaire.Abstraction faite de la tiédeur christiano-humaniste, nous semblons donc déjà en bonne voie. Mais il y a parfois loin de la parole aux actes. Surtout lorsque les actes sont inhibés par des structures d’un autre siècle, comme cette division perverse, aujourd’hui surréaliste, en deux collèges électoraux unilingues. Ce qu’il faut, comme le veulent, selon les enquêtes, une majorité d’électeurs bruxellois, c’est permettre des listes régionales « bilingues » en abolissant les collèges séparés tout en maintenant une représentation garantie. C’est parfaitement possible, sans réitérer la farce des « faux Flamands » qui avait irrémédiablement souillé la naissance du Conseil d’agglomération en 1971.Plus cruciale encore que la modification du système électoral est l’instauration du suffrage universel. Aux élections régionales, les citoyens étrangers ne votent pas. Ce n’est peut-être pas si grave en Flandre, où ils sont moins de 6 %, guère plus en Wallonie, où ils sont 9 %. Mais c’est franchement préoccupant à Bruxelles, où ils approchent des 30 %, en majorité européens. Aux élections de l’Assemblée nationale écossaise, tout citoyen européen a le droit de vote. Aux élections de l’assemblée de la capitale de l’Union européenne, seuls peuvent voter les citoyens d’un de ses Etats-membres. S’agissant d’une ville-région, cette situation est en contradiction flagrante avec l’esprit du Traité d’Amsterdam, qui étend à tout citoyen européen le droit de vote aux élections locales. Elle discrédite la prétention de Bruxelles à mériter son statut de capitale européenne. Et elle est contraire à l’intérêt qu’a la Région bruxelloise à mobiliser les compétences et bonnes volontés de tous ses résidents permanents, au lieu de faire du tiers d’entre eux des citoyens de seconde zone.Dès qu’on aura mis fin à cette anomalie, on ne tardera pas à trouver évident que les Bruxellois de toute origine, polonaise ou portugaise, flamande ou wallonne, marocaine ou scandinave, qui partagent une même orientation politique, se retrouvent au sein d’un même parti bruxellois. On se sera ainsi définitivement extirpé d’une logique de rivalité ethnique entre deux tribus méfiantes et complexées rêvant l’une d’épuration, l’autre de reconquête. Bruxelles et avec elle la Belgique auront alors laissé loin derrière elles la Belgique bi-communautaire de Papa dans laquelle trop de politiques des deux clans sont encore englués mais dont plus qu’un frémissement, aux Etats généraux et ailleurs, permet déjà d’augurer le dépassement.
28.5.09

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