Mesdames, Messieurs
« C’est avec curiosité que l’on entendra,
plus inattendu et inhabituel dans pareil cénacle, un représentant patronal en la
personne de Thierry Castagne, directeur général d’Agoria Wallonie, la fédération
de l’industrie technologique. » C’est en ces termes que La Libre du 17 novembre
commentait le programme de la réunion de ce soir du Mouvement pour le Manifeste
wallon.
Soyons clairs d’emblée, en répondant
favorablement à l’invitation qui nous a été faite par les organisateurs, il ne
s’agit pas pour Agoria ni pour moi d’une démarche militante. On ne m’a pas
invité à signer ni à adhérer au Mouvement. Ma participation vise simplement à
contribuer au débat démocratique sur l’avenir et l’identité de notre région.
Bref, à faire entendre une voix, celui de l’industrie technologique wallonne,
qui mérite d’être entendue au sein de pareille assemblée, à côté des
interventions politiques, syndicales, académiques.
Quelle est notre position dans ce
contexte ? Je vous la livre en 6 points.
1. Dans un Etat démocratique, ce sont les
élus qui décident.
Au lendemain des élections de juin,
Agoria diffusait un communiqué de presse sur le titre « éviter à tout prix
l’immobilisme ». Nous en appelions à une formation du gouvernement et aux
réformes nécessaires pour sortir de l’immobilisme dans lequel, il faut bien
avouer, l’Etat est englué depuis des années. Car les urgences pour les
entreprises mais également pour la population sont économiques et sociales. Le
pays n’est pas encore sorti de la crise financière et doit faire face sans
tarder à l’assainissement budgétaire (22 milliards € à trouver) ainsi qu’au défi
relatif au vieillissement. Bref, régler de manière résolue, équilibrée et
décomplexée le dossier difficile des réformes institutionnelles est, tout le
monde en convient aujourd’hui, la seule voie.
Rappelons toutefois une évidence. Dans un
Etat démocratique, ce sont les élus qui décident. De plus, la discrétion, dans
tout processus de négociation difficile, est la règle si on veut réellement
aboutir à un accord. N’attendez donc pas aujourd’hui de déclarations
tonitruantes ni sur les matières à régionaliser, ni sur la réforme de la loi de
financement des entités fédérées.
Le seul message que nous exprimons à
nouveau est « la réforme, il faut y aller et sans tarder ».
2. Pour Agoria, la Wallonie (la
régionalisation), cela fonctionne.
Agoria ne s’inscrit pas dans une démarche
politique sur le plan institutionnel, mais dans une optique pragmatique et
volontariste. Dès que les réformes sont votées, notre fédération adaptent ses
structures, ses politiques, ses ressources pour répondre au mieux aux besoins
des entreprises dans un environnement donné. C’est ainsi que dès les années ’80,
notre fédération -qui reste une asbl fédérale- a modifié sa structure en
instaurant des directions générales ainsi que les conseils de direction
régionaux (composés des chefs d’entreprises). Ces instances régionales sont
dotées d’une large autonomie.
Et cela fonctionne : l’aile wallonne de
la fédération a été de tous les projets utiles au développement économique
depuis des décennies : 3 exemples pour vous en convaincre.
Les centres de compétences comme
Technifutur-Technofutur créés à l’initiative des partenaires sociaux et
associant le Forem, l’enseignement, …,
Les pôles de compétitivité dans le
cadre du plan Marshall comme Mecatech ou Skywin,
Les politiques visant à réduire les
émissions de CO2 dans l’industrie (-18%) via les accords de branche signés par
Agoria, …
Ces 3 initiatives wallonnes ambitieuses
et partenariales sont montrées en exemple par l’Europe et attirent même
l’intérêt de la Flandre. J’y reviendrai.
3. La Wallonie d’aujourd’hui, c’est mieux
qu’hier mais moins bien que demain…
Soyons honnêtes. Cela va mieux en
Wallonie, mais les progrès devraient encore s’accélérer et prendre une plus
grande ampleur. Le sens de l’urgence et du changement doivent demeurer la
priorité politique et être partagée par toute la population wallonne qui n’est
généralement pas assez consciente de l’état réel dans lequel la région se
trouve…
Prenons quelques indicateurs qui
illustrent cette évolution positive mais aussi l’écart qui reste à
combler.
Le PIB wallon par habitant s’élève à 83
de la moyenne européenne (des 27). La croissance moyenne du PIB pour la période
2002-2008 s’élevait à 1,7% en Wallonie mais contre 2% en Belgique (2,1% en
Flandre).
Le taux de création nette d’entreprises
(à savoir le taux de création brut moins le taux de disparition brut) s’élevait
pour la période 2000-2008 à 3,3% en Wallonie mais contre 3,8% en
Flandre.
Le taux de chômage selon la définition
du BIT en 2009 s’élève à 11,2% en Wallonie pour 5% en Flandre et 15,9% à
Bruxelles. Signe encourageant, la diminution du nombre de demandeurs d’emploi
sur la période juin2004-juin2010 est plus importante en Wallonie (-10.381) qu’en
Flandre (-5.103).
Le taux d’emploi, même s’il est en
croissance, reste encore trop faible (57% de la population active en Wallonie,
contre 68% pour la moyenne européenne des 15)
Évolution positive pour les
exportations wallonnes, mais encore insuffisante. Les parts régionales dans
l’ensemble des exportations belges entre 2007 et 2009 sont passées, pour la
Wallonie de 17,6% à 19,2% contre, pour la Flandre, 80,4% à
78,5%.
Les scores en matière d’investissement
étrangers s’améliorent également. Dans son baromètre 2010 de l’attractivité en
Belgique, Ernst & Young relevaient déjà 57 investissements en Wallonie (soit
+17 par rapport à l’année antérieure) contre 64 en Flandre (-10) et 25 à
Bruxelles (-3).
Une évolution saluée par Agoria de la
politique économique régionale basée sur une politique industrielle sélective au
travers des Pôles de compétitivité du Plan Marshall ainsi que des clusters,
politique qui n’a pas manqué de retenir l’attention de nos amis flamands.
Quelques chiffres : fin 2009, au terme de 5 appels à projets, 128 dossiers
industriels basés sur des réseaux d’entreprises et des centres de R&D ont
été soutenus pour un budget public de 235 millions€, sans compter les
investissements privés. Il faut y ajouter le 388 millions€ prévus sur 5 ans par
le plan Marshall 2.vert qui s’annonce prometteur, le 6e appel qui vient de se
clôturer dénombre 36 projets supplémentaires labellisés par le Gouvernement
wallon
4. La Wallonie en sortira après avoir
fait encore davantage d’efforts
Je le signalais à l’instant. Les choses
bougent en Wallonie mais le chemin reste long et difficile s’il on veut réduire
les écarts avec la moyenne européenne ou les régions
avoisinantes.
Selon le Professeur Pagano de l’UMons,
dans un scénario extrême où chaque région devrait vivre avec ses propres moyens,
les wallons devraient réduire de 15 à 20 % leur train de vie… ou bien le
maintenir en recherchant 15 à 20% de recettes supplémentaires, ce qui est bien
entendu inconcevable dans un pays, une région où les prélèvements fiscaux et
sociaux figurent parmi les plus élevés au monde.
La responsabilisation financière qui
s’annonce pour les régions conduira inévitablement à faire plus avec moins. Se
posent inévitablement les questions de l’efficacité et de la simplification du
fonctionnement de nos institutions, ainsi qu’au final, d’une gestion optimale
des dépenses publiques.
Les efforts doivent être consentis par
tous. Les entreprises sont également concernées en intensifiant leurs efforts,
soutenus par le gouvernement, de développement économique. Bien entendu, en
intensifiant les efforts portant sur l’innovation, les investissements, la
formation, les exportations, l’esprit d’entreprise.
Mais le marché du travail doit aussi être
repensé en concertation avec les partenaires sociaux, sans tabous. Agoria reste
attaché au maintien des relations collectives du travail au niveau fédéral tout
en prenant en compte les spécificités et compétences régionales, par exemple en
matière de formation, d’emploi. Et d’insister qu’il est inévitable que la région
qui affiche le plus grand retard sur le plan économique a besoin plus que les
autres de mesures fortes pour améliorer la compétitivité des entreprises ainsi
qu’un environnement attractif sur la plan des relations sociales dans les
entreprises. Nous y travaillons avec nos partenaires syndicaux dans l’industrie
technologique.
5. Réformer selon le critère de
l’efficacité.
J’appuierai ici le message prononcé fin
octobre par le président de l’UWE. « Qu’on le veuille ou non, nous allons
immanquablement vers plus d’autonomie des régions, vers une plus grande
responsabilisation des régions et de leurs revenus ». La régionalisation doit
répondre à 3 critères :
Viser l’efficacité accrue dans la
fonction publique,
S’inscrire dans la convergence
européenne,
Garder une masse critique de
moyens.
Et de poursuivre en disant que « la
Wallonie n’a pas à avoir peur de cette évolution. Elle a démontré à maintes
reprises qu’elle pouvait relever des défis importants. »
Prenons un exemple concret qui illustre
bien l’exigence d’efficacité dans un contexte de régionalisation
accrue.
L’enseignement. Selon tous les
économistes, l’enseignement francophone bénéficie d’un financement se situant
dans le peloton de tête des pays européens. Pourtant, les établissements
d’enseignement se plaignent d’un manque cruel de moyens. Sans parler des
performances de l’enseignement obligatoire qui restent, en moyenne, bien
inférieures aux attentes et médiocres selon les comparaisons internationales.
Sans tabou, ne pouvons-nous pas penser à faire mieux en repensant l’organisation
et l’efficience de notre système scolaire. Sujet difficile s’il en est…
Peut-être en commençant par l’enseignement qualifiant qui pourrait davantage se
rapprocher des compétences de la formation professionnelle et de l’emploi. En
tant que président de centres de compétences, j’ai pu par le passé mesurer
l’intérêt de décloisonner les offres d’enseignement et de formation en
permettant un partage de ressources pour l’accès aux équipements, les stages et
la formation en alternance des élèves, le recyclage des enseignants, le partage
des ressources pédagogiques… à Technofutur à Charleroi ou à Technifutur à Liège,
il est fréquent de voir une jeune de l’enseignement technique fréquenter du
personnel d’entreprise et des demandeurs d’emploi à l’occasion de formation en
soudage, en mécanique, en informatique.
Mais reconnaissons-le. Quel labyrinthe
institutionnel que d’organiser de telles collaborations ? quel gaspillage de
temps, d’argent, d’énergie à passer à des tâches administratives sans aucune
valeur ajoutée.
6. La Wallonie passe par
Bruxelles
Brussels South Charleroi Airport… le nom
de l’aéroport de Charleroi. Tout un symbole.
Pour ceux qui en doutent encore,
l’affirmation et le développement de la Wallonie passent par une coopération
renforcée avec la Région de Bruxelles-Capitale, et ce notament sur les plans
économique, social, de l’enseignement.
Pour conclure, je rappellerai qu’Agoria
en Wallonie a l’ambition de relever, avec les différents acteurs concernés, les
défis du futur, dans un contexte de réforme institutionnel. Cela passera d’abord
par une prise de conscience plus marquée de la part de la population de la
situation réelle de la Wallonie et des efforts à accomplir pour son
développement. Et ensuite, de créer une rupture dans notre évolution, en basant
nos politiques sur les principes de l’efficacité et de l’excellence, en vue de
rattraper la moyenne européenne.
Dans ce cadre, la Wallonie par choix et
pas par défaut, est le chemin qui conduit au succès pour
tous.
Je vous remercie.
Thierry Castagne
Directeur général Agoria Wallonie –
www.agoria.be/wallonie
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DEBAT INSTITUTIONNEL EN WALLONIE ET A BRUXELLES +++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++
mercredi 19 décembre 2012
22/11/10 - INTERVENTION DE THIERRY CASTAGNE, DIRECTEUR D'AGORIA WALLONIE
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