mercredi 19 décembre 2012

DISCOURS DE JJ VISEUR (Fêtes de Wallonie)



Mesdames,Messieurs,
La Wallonie est face à son destin. Trop souvent galvaudée, cette expression correspond cependant bien à la situation actuelle. Les élections du 13 juin ont confirmé la volonté flamande d’un changement radical de la répartition des compétences en faveur des entités fédérées, d’une structure clairement confédérale et d’un financement des pouvoirs publics qui affaiblisse l’Etat fédéral et limite la solidarité tant interpersonnelle qu’interrégionale. Les négociations, qui se poursuivent, détruisent les illusions que beaucoup de francophones nourrissaient quant au sens de l’Etat fédéral des partis du nord du pays. Les plus modérés s’accommoderaient d’un compromis qui parait déjà très éloigné d’un fédéralisme classique mais qui maintiendrait les grands principes de solidarité. Cependant, ce ne sont pas ces partis qui donnent le ton. Si, aujourd’hui, on ignore toujours si la NVA est accessible au compromis ou souhaite une dislocation rapide de l’Etat belge, on doit bien constater que ce parti s’inscrit résolument dans une vision disloquée de la Belgique et est rejoint par une large majorité de la représentation politique flamande.
La Wallonie ne peut donc plus entrer à reculons dans une nouvelle organisation des pouvoirs publics. Quelle que soit l’issue des négociations, la Wallonie disposera demain de plus de pouvoirs et donc de responsabilités. Elle sera ainsi, pour la première fois de son histoire, quasi entièrement maître de son avenir. Doit-elle aborder timidement cette situation nouvelle ou au contraire relever avec enthousiasme et détermination ce qui pourrait être une chance unique d’un développement maîtrisé ?

A l’issue de chacune des guerres mondiales du XXème siècle, le nationalisme, à qui on imputait la responsabilité première des conflits, faisait l’objet de toutes les critiques. La création de l’union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie, la violente répression des volontés d’autonomie basque ou catalane voire corse ou bretonne indiquaient la volonté de privilégier l’Etat et le supranationalisme par rapport aux nations. La création de l’Europe des six dans les années 50 marquait la volonté de voir la supranationalité l’emporter. Le Général de Gaulle paraissait archaïque lorsqu’il proclamait que l’Europe n’aurait d’avenir que si elle reconnaissait la primauté des nations.Que reste-il de ce mouvement aujourd’hui. L’union soviétique, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie ont disparu et ont cédé la place à des nations. Là où des volontés d’autonomies régionales s’étaient manifestées, la réponse des Etats centraux a largement facilité l’autonomie. L’Europe elle-même concilie trois niveaux de décision : l’Europe supranationale, les 27 Etats et 200 régions foisonnantes d’initiatives et d’innovations économiques et sociales.

Le philosophe Edouard Delruelle constatait récemment qu’en ce début du XXIème siècle, le nationalisme était partout triomphant et que son succès était irrépressible. Poussant plus loin l’analyse, il relevait que les trois ingrédients d’un nationalisme triomphant étaient un territoire, une langue et une souffrance ou une frustration collective. Ce dernier élément est, selon Delruelle, le véritable moteur du nationalisme. Il permet de nourrir politiquement le mouvement. Toute concession obtenue du pouvoir central est considérée comme un droit acquis et la reconnaissance de la justesse du combat. Tout refus ou frein aux revendications renforce la frustration et vient rallumer les braises jamais éteintes.Le nationalisme flamand répond bien à cette définition : les deux premières conditions, le territoire et la langue, sont clairement présents. A cet égard, on ne peut comprendre le problème BHV qu’au regard de cette volonté de consacrer un territoire non partagé. La troisième condition a trop souvent été mal comprise par les francophones. La psychologie collective des peuples est extrêmement difficile à identifier ou à mesurer. Nous ne comprenons pas la frustration des flamands vivant dans l’opulence et dont nous admirons le développement économique. Certes, nous reconnaissons que, dans le passé, la domination en Flandre d’une bourgeoisie francophone, le différentiel économique important entre la Wallonie et la Flandre, et ce jusque dans les années 60, l’injuste mépris à l’égard du néerlandais et l’attitude trop souvent condescendante des francophones ont généré une lourde frustration, mais la réalité historique bien différente de mythes comme celui de la guerre 14 où les officiers francophones auraient envoyé à la mort des soldats quasi exclusivement flamands qui ne comprenaient pas les ordres qui leur étaient donnés en français et surtout la prospérité actuelle de la Flandre et sa maîtrise des principaux leviers politiques et économiques de l’Etat Belge auraient dû, depuis longtemps, faire disparaître ces frustrations et ces peurs. Par ailleurs, la plus value Belgique, au sein de l’Europe, l’absence totale d’entraves au développement de la Flandre et le fait qu’il n’est absolument pas prouvé que le « goed bestuur » existe lorsque la Flandre gère elle-même une matière, tout cela nous parait tellement évident que nous ne comprenons pas comment on peut consacrer tant d’énergie à cette affirmation nationaliste alors que les vrais problèmes du pays sont dans le développement économique et social et le maintien de notre modèle d’économie sociale de marché. Nous ne comprenons pas non plus que la notion de solidarité, notamment interpersonnelle soit bafouée par des gens que nous côtoyons tous les jours et que nous apprécions.Le problème est que nos réactions sont de l’ordre du rationnel alors que, comme l’explique fort bien Delruelle, la question est d’ordre passionnel par nature irrationnel.Je pense donc que, quelles que soient nos réticences et nos incompréhensions, le mouvement est irréversible. La Flandre vogue vers une forme d’indépendance qu’elle atteindra tôt ou tard. L’expression de notre attachement à une Belgique qui ressemble de plus en plus à une coquille vide n’y fera rien et plus que jamais les paroles de Destrée prononcées, il y a près d’un siècle, le 15 août 1912 sont d’actualité : « Sire, il n’y a pas de Belges ».Faut-il s’en effrayer comme le destinataire de la lettre le Roi Albert 1er qui approuve l’analyse mais en refuse les conséquences ? Il réagit en disant : « Tout ce que Destrée dit est absolument vrai mais il est non moins vrai que la séparation serait un mal entrainant plus d’inconvénients et de dangers en tout genre que la situation actuelle ».

Un siècle plus tard la position d’Albert 1er ne correspond plus à la réalité. La Wallonie doit donc oser la carte d’un nationalisme Wallon. Celui-ci doit être original car il n’a pas (et ce peut être un atout) ce moteur de l’humiliation ou de la frustration qui a porté les nationalismes basque, catalan, serbe, slovaque ou flamand. Il ne peut, comme ce fut trop souvent le cas des mouvements wallons, dans le passé, reposer sur la nostalgie ou les chimères d’un prétendu âge d’or lié au XIXème siècle et à son développement industriel réalisé au mépris des droits sociaux. Il ne doit pas se construire contre l’Etat central ou les autres régions qui nous entourent. En aucun cas, il ne doit être un repli frileux. Bref, il doit être un nationalisme d’un nouveau type qui repose sur la confiance en nous et en notre capacité d’exploiter au mieux notre potentiel. A nous d’initier ce nationalisme ouvert, sans complexes, avec la passion de l’innovation mais aussi d’une forte cohésion sociale autour d’un modèle de développement solidaire. Le passé récent illustre bien cette logique, cette force tranquille d’une nation wallonne. Parmi d’autres, on peut citer comme exemple le plan Marshall qui a associé dans un même effort pouvoirs publics, industries et universités. Les pôles de compétitivité ainsi créés sont de vraies réussites qui attirent investissements et emplois mais surtout changent les mentalités. L’apport de ce que chacun des partenaires a de meilleur illustre un superbe modèle de développement. La relation entre partenaires sociaux est aussi devenu facteur de progrès. Songeons à ce campus technologique qui, à Charleroi, sera un modèle unique de coopération pour la formation. C’est le fruit de l’action commune du patronat et des syndicats avec le soutien de la puissance publique. Il en est de même des efforts dans le secteur de la construction où syndicats, Confédération de la construction et Forem travaillent la main dans la main pour donner un personnel de qualité à ce secteur qui en a besoin. On peut aussi relever l’amélioration constante de la gouvernance de la région. Bref, lorsqu’une matière est de la compétence de la Région wallonne, elle se gère de façon plus souple et plus efficace.

Il ne faut donc pas avoir peur de la construction d’un nationalisme wallon. Et ce pour trois raisons :

- D’abord parce que, face à l’inéluctable, la pire attitude est celle de l’autruche. Rien, en ce début du XXIème siècle, ne peut endiguer le flot nationaliste flamand. Il faut donc en prendre acte et s’inscrire dans cette perspective. Ce n’est pas là capituler mais anticiper. Ne pas avoir de projet et ne pas se rassembler autour de celui-ci serait perdre un temps précieux.

- Ensuite parce que le nationalisme en Europe cela marche sur le plan social et économique.Dans son pénétrant essai « Flandre - Wallonie, quelle solidarité ? De la création de l’Etat Belge à l’Europe des Régions », Michel Quévit démontre que le nationalisme est un facteur majeur de développement économique. Il relève que, dans l’Europe des régions, celles qui ont réussi leur affirmation « nationale » ont enregistré des taux de croissance assez fabuleux. L’exemple le plus frappant n’est sans doute pas la Catalogne, région bénie des dieux, qui, avec Barcelone, son tourisme mais aussi sa haute technologie et son développement industriel, est devenue, en Europe, la troisième région au plus fort développement mais le pays basque dont chacun ici sait à quel point cette région et sa capitale Bilbao me fascinent. Voilà une région humiliée pendant des décennies dont le martyre reste dans nos esprits grâce au Guernica de Picasso. Une région déchirée par le terrorisme aveugle de l’ETA, une région dont les industries de base et notamment la sidérurgie ont connu le même déclin qu’en Wallonie mais une région à la pointe de l’innovation dont la croissance économique durant la dernière décennie a été largement supérieure à la Wallonie mais aussi à la Flandre brisant l’idée qu’il y avait une fatalité au « maldéveloppement » ou au déclin des vieilles régions industrielles. Pour être plus précis, en 2005 le PIB du pays basque par habitant y était, par rapport aux régions de vieille tradition industrielle, de 130 alors que la Lorraine était à 92,5, le Nord-Pas-de-Calais à 88,6 et la Wallonie à 87,5. Le pays basque a ainsi rejoint les 25 régions les plus prospères d’Europe en assumant pleinement son destin.

- Enfin parce que, en Europe, la région est partout l’instrument le plus pertinent de développement économique optimal.C’est surtout le cas de régions de vieille industrie qui ont éprouvé beaucoup de mal à se reconvertir mais qui, aujourd’hui, peuvent combiner tradition industrielle et innovation. Si on examine la situation en Europe, on s’aperçoit que ces régions comme Hambourg, la Sarre, le Nord Rhein Westphalie ou encore la Lombardie, le Piémont ou la Ligurie ont, après une période de dépression et souvent par le biais de programmes d’investissements publics, valorisé leur tradition industrielle et contribué souvent de façon spectaculaire à la croissance européenne. Le comportement de la Wallonie après la crise de 2008 s’inscrit dans cette logique. La résistance à la crise y est plus forte et l’accrochage à la reprise, notamment allemande, y est plus rapide. Le rapprochement des centres de décision, la meilleure connaissance et compréhension des entreprises sont des atouts bien exploités.
BRUXELLES
Dans les prochains mois et années se posera le problème de Bruxelles et de ses relations avec la Wallonie.Pour moi, mais cela n’engage évidemment que moi, Bruxelles ne fait pas partie de la Wallonie et ce serait une erreur de croire que la disparition de notre modèle national déboucherait sur une Flandre indépendante d’une part, une Belgique Bruxelles-Wallonie d’autre part.Bruxelles est d’abord une métropole et une capitale. Les économistes spécialistes du développement régional ont bien décrit ce qu’ils appellent le « capital effect ». Il s’agit du développement d’un processus qui concentre dans des Villes régions ou Etats quasi totalement dédicacés au tertiaire le pouvoir politique (doublé ici pouvoir européen) et le pouvoir économique accompagné d’un développement important de la démographie. C’est le cas des grandes capitales (Londres, Paris, Berlin). C’est aussi le présent et l’avenir de Bruxelles. Bien entendu ces régions capitales contribuent largement au développement des régions périphériques. La Wallonie a donc tout intérêt, comme d’ailleurs la Flandre, à servir de support à Bruxelles. Il est incompréhensible à cet égard que les flamands soient aussi hostiles au refinancement de Bruxelles qui va évidemment largement profiter tant à la Flandre qu’à la Wallonie. Bruxelles est donc essentiel à notre développement mais je ne crois pas à une fusion des institutions. Bruxelles région à part entière mais évidemment ouverte à toute forme de coopération et de développement en commun avec ses régions voisines me parait constituer un modèle de développement beaucoup plus efficace.
ET CHARLEROI DANS TOUT CELA ?
Il n’y a pas de région-nation prospère qui ne repose sur le développement de ses centres urbains et de ses métropoles. Pour contribuer à l’avenir de la Wallonie, Charleroi se doit de devenir un pôle important de développement et un modèle d’innovation.
- Charleroi avait besoin d’une remise en ordre sur le plan de sa gouvernance. Cela a été difficile et long, le travail n’est pas achevé mais nous sommes sur la bonne voie.- Charleroi a besoin d’être reconnue dans ses multiples fonctions et a besoin pour cela d’un coup de pouce régional. Le prêt de 75 millions via le CRAC s’inscrit dans cette réalité.- Charleroi a besoin d’un nouveau visage. Les projets publics et privés qui s’exécutent ou s’annoncent sur notre territoire en modifient profondément l’image. Travaux du métro et amélioration de la mobilité, Hôtel de police, Caserne des pompiers, Centre commercial Rive gauche, traitement futur de la Caserne Trésignies ou de l’Hôpital civil, nouveaux hôpitaux, nouvelles écoles, autant de signes tangibles que la première métropole wallonne rattrape le temps perdu et s’inscrit dans le futur.- Charleroi a besoin de faire bouger les lignes et d’être le lieu de dépassement des clivages idéologiques, philosophiques politiques et sociaux : bassin d’enseignement, campus technologique, comité de développement stratégique, vaste coopération entre hôpitaux, pacte associatif et alliance exemplaire entre le tiers secteur marchand et le secteur public. C’est ici, à Charleroi, que l’innovation sociale s’épanouit et que se construit un nouveau modèle de société.- Charleroi veut améliorer en profondeur l’accueil de la petite enfance et l’enseignement maternel et fondamental car elle croit que, parmi les moteurs de développement, le respect de l’égalité par ces instruments est prioritaire et déterminant.

Bref, Charleroi se veut et se doit d’être un atout essentiel pour la Wallonie
Mesdames,Messieurs,
La métaphore de la caverne de Platon est une allégorie parmi les plus déterminantes pou notre société.Des hommes enchaînés tournent le dos à l’entrée de la caverne. Ils ne voient sur les parois de celle-ci que leurs ombres et s’en effraient. L’un d’entre eux se libère et gagne la sortie. Il est d’abord cruellement ébloui par le soleil. Son premier mouvement est de retourner dans la caverne et dans le confort illusoire du passé. Mais s’il réussit à vaincre ce premier réflexe et cette peur, il s’accoutume à la lumière et découvre le monde réel plein d’espoir et d’ambitions.
Cela ressemble assez à notre situation aujourd’hui. Dominons nos peurs et nos regrets. Osons sortir de la caverne. L’avenir de la Wallonie radieux, plein d’espérance et d’ambition est là et nous attend.
18.12.10

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