dimanche 16 décembre 2012

"BRUXELLES ENTRE PROJET REGIONAL ET PARTIS COMMUNAUTAIRES"


« Carte blanche » d’Alain Maskens, coauteur du « Manifeste bruxellois », dans « Le Soir » du mardi 13 janvier 2009 
 
Les États Généraux de Bruxelles inaugurent leur deuxième phase de travail : au sein de 16 débats publics répartis sur 8 soirées à partir du lundi 12 janvier, toutes les composantes d’un projet de Région ambitieux seront analysées en profondeur (1).
 À cette occasion, j’aimerais mettre en exergue une dimension remarquable de ces États Généraux : entièrement portés par la société civile bruxelloise, ils regroupent celle-ci au-delà des barrières de langues. Ce projet est piloté par des associations francophones, néerlandophones, ou encore, pour la plupart, bilingues. Respecter les langues en présence, mais édifier un projet commun porteur d’avenir pour tous les habitants d’une région donnée, voilà le modèle de société auquel s’attachent les Bruxellois.
 Le fossé qui sépare ce modèle de celui auquel se raccrochent aujourd’hui encore les principaux responsables politiques devient chaque année plus profond. Ces derniers – même à Bruxelles – restent organisés en communautés monolinguistiques ancrées dans les symboles nationalistes du siècle dernier. Au lieu de se structurer en entités régionales, fédérées aux niveaux national et européen.
 Pour Bruxelles et son émancipation, la structure exclusivement linguistique des partis constitue un frein considérable : elle la prive d’un poids politique solide et d’un projet politique cohérent.
 Ses principaux responsables politiques néerlandophones appartiennent à des partis qui se revendiquent encore toujours de la volonté de confédéralisme à deux avec mise de la capitale sous tutelle de la Flandre et de la Wallonie (vote du parlement flamand en 1999).
 Quant aux responsables des partis communautaires francophones, leur principal mantra a été pendant deux ans : « Nous ne sommes demandeurs de rien »… alors que Bruxelles a tant à revendiquer, au nom de la seule justice ou de la cohérence institutionnelle. Ce fut – c’est encore toujours – également le mantra du « front francophone », confortant en somme les vœux des nationalistes de Flandre d’imposer un jeu à deux, dans lequel Bruxelles n’a pas sa place. On l’a d’ailleurs bien vu lorsqu’à nouveau, le dialogue institutionnel a exclu la Région bruxelloise en tant que telle, s’organisant entre le gouvernement de Flandre et les chefs des partis communautaires francophones.
 De part et d’autre, on voit bien que les agendas communautaires n’ont aucune sympathie pour les vraies priorités bruxelloises. À commencer par les drames humains qu’impose à certains de ses jeunes un système d’enseignement parmi les plus inégalitaires d’Europe. Ou encore l’injustice d’un financement structurel très largement déficitaire par rapport aux services rendus par la Région.
 Face à cela, les préoccupations prioritaires – au point de bloquer toute avancée institutionnelle – des partis communautaires sont d’une part de scinder BHV, ou, d’autre part, de faire nommer trois bourgmestres en périphérie. Problèmes importants, certes, mais très secondaires si l’on prend en compte les problèmes quotidiens de la Région et de ses habitants.
 Bruxelles mérite mieux. Sa société civile offre le modèle d’une communauté de destin aux composantes culturelles diverses. Elle se cherche un projet commun et ambitieux qui englobe tous ses habitants, au-delà des barrières de langue, au-delà de clivages sociaux et humains qu’elle essaie de dépasser. Elle invite dès lors « tous les mandataires politiques bruxellois, quelles que soient les langues qu’ils parlent, à prendre acte de l’existence d’une véritable communauté des Bruxellois et à se donner pour tâche de la représenter dans sa totalité », ainsi que l’exprimèrent dès 2003 le premier Manifeste Bruxellois (2) et, plus récemment, les 10.000 signataires de l’Appel « Nous existons ! » (3). En fait, sur la base d’enquêtes rigoureuses, on peut estimer que la majorité des Bruxellois souhaitent pouvoir voter en faveur de listes bilingues ou plus largement représentatives de la diversité régionale.
 Malheureusement, le système électoral actuel interdit les listes bilingues aux élections régionales. Même si cette disposition fut décidée en son temps pour de bonnes raisons, il faut aujourd’hui en reconnaître les limites, et il faudra y remédier. Ne serait-ce qu’en autorisant la création de listes bilingues tout en maintenant, pour ceux qui le souhaitent, la possibilité de proposer des listes unilingues. À Belfast, où il fallait également assurer une représentation suffisante de catholiques et de protestants, on a bien dû accepter le fait que certains Irlandais étaient athées. Fallait-il les forcer à choisir un camp ?
 Dans l’attente d’une adaptation des règles électorales, on pourrait à tout le moins espérer que chacune des « familles » politiques traditionnelles présente à Bruxelles un seul programme électoral (socialiste, ou libéral, ou écologique, ou chrétien-humaniste) établi en commun entre francophones et néerlandophones d’une même orientation politique, plutôt que d’imposer à l’électeur huit (!) projets monocommunautaires distincts et en partie conflictuels. La population est en droit d’attendre que les responsables politiques élaborent entre eux, au sein de chaque famille politique, des propositions constructives de compromis dans les domaines régionaux et communautaires, plutôt que d’attiser la discorde en allant aux élections sur base de surenchère unilatérale. Bruxelles ainsi monterait la voie d’une culture politique digne du XXIe siècle : celle où le projet politique d’une Région doit intégrer toutes ses composantes.
 Cette demande va-t-elle être entendue ? On peut en douter. Les nouvelles en provenance des partis traditionnels ne donnent guère d’indication en ce sens. Plus fondamentalement, leurs principaux dirigeants ont été portés au pouvoir dans la dynamique des conflits communautaires, ce qui a bien souvent favorisé au sein de leurs groupes respectifs ceux dont le radicalisme linguistique était le plus visible.
 Malgré cela, il faut espérer que cette demande sera entendue. À défaut, la société civile aura-t-elle d’autres choix que de prendre ses responsabilités à l’écart des formations politiques traditionnelles ?
 

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