A présent, vous pouvez dire à nos mères que nous sommes régionalistes.
Il en va du politiquement correct comme des avant-gardes. L’un comme l’autre sont, tôt ou tard, appelés à être dépassés. Jusqu’il y a peu, le concept de régionalisme était à proscrire du vocabulaire politique en francophonie de Belgique, mais principalement en Wallonie. C’était un peu comme le marxisme, toute proportion gardée évidemment. Un jour, ce fut considéré comme une faute de goût d’avoir lu Marx, Althusser et les autres. Et on s’empressa de faire l’impasse sur un certain engagement de Sartre comme d’oublier que tous les penseurs de gauche s’étaient imbibés de théories marxistes durant près d’un demi-siècle. Le marxisme était devenu ringard. Et c’est la même ringardise qui, chez nous, vint un jour frapper le régionalisme. Oubliés les Renard, les Yerna, les Terwagne, les Merlot, les Perin et les Cools. Ignorés le Mouvement Populaire Wallon et le Rassemblement Wallon. Au nom de la nouvelle pensée dominante, on fit l’impasse sur tout ce qui fut le fruit de la volonté wallonne en matière de régionalisme. Pourquoi cet acharnement à vouloir reléguer aux oubliettes le fait qu’il y a quarante ans, des responsables wallons voulaient permettre aux Wallons de disposer des leviers de leur économie et que, pour ce faire, il n’y avait pas à transiger dans le dialogue de Communauté à Communauté ? C’était l’époque où Jacques Hoyaux déclarait que l’ambition d’un homme d’Etat wallon ne devait plus être de devenir Vice-Premier Ministre de Belgique, mais bien d’être Premier Ministre de Wallonie.
Mais bientôt, ce fut l’heure de ce politiquement correct francophone réduisant la Wallonie à ses atouts touristiques, quand elle ne subissait pas la dérision de bas étage la reléguant au rang d’une région grotesque pataugeant dans les combines. Dans un tel climat délétère et narquois, difficile de faire passer l’image d’une Wallonie qui gagne. Plus difficile encore de susciter chez les Wallons ne serait-ce que le soupçon d’un sentiment de fierté. Comment en est-on arrivé là ? Peut-on penser que les Wallons, ayant obtenu ce qu’ils souhaitaient, ne désireraient rien de plus ? Ou alors, serait-ce, à présent que le syndicalisme a perdu de son influence, le relâchement de ce lien, évident dans les années 60, entre la volonté régionaliste et les combats sociaux, qui mettrait à mal la fibre régionaliste ?
Et pourtant, le régionalisme n’est pas mort en Wallonie. Et d’abord, il n’est pas, comme on s’est complu à nous le faire croire, la seule affaire de quelques nostalgiques de combats désuets. Au contraire, c’est au nom du pragmatisme que s’impose la voie régionaliste afin que la Wallonie assume idéalement sa destinée économique.
Il est temps qu’au sud du pays, on comprenne enfin qu’on ne sauvera pas l’Etat belge en refusant de négocier et en niant des revendications flamandes qui sont lisibles depuis bientôt dix ans et n’ont pas changé d’un iota. Et ce n’est qu’aujourd’hui, du côté francophone, qu’on se prépare, dans une certaine urgence à une parade sur ce qui est acceptable. Pire, ce sont les éditorialistes qui invitent, enfin, les responsables politiques du sud à exprimer, eux aussi, des exigences. Des exigences qui auraient dû être connues depuis longtemps. Alors que, maintenant, elles sembleront ne voir le jour que pour tenir la note dans un concert où les Flamands obtiendront leur réforme de l’Etat en laissant pour seule alternative la fin de la Belgique. A cet égard, il nous semble aussi impératif que les Flamands expriment enfin clairement ce qu’ils souhaitent laisser à l’Etat fédéral.
Le débat institutionnel se dessine comme un débat de Communauté à Communauté. Nous sommes, pour notre part, convaincus, que les choses seraient plus claires s’il avait lieu entre régions. Relisons l’art. 35 de la Constitution. C’est d’ailleurs ce niveau de pouvoir qui est mis en avant par la note du Premier Ministre, et cela, parce que les régions, n’en déplaise à leurs détracteurs, constituent des entités de plus en plus lisibles sur le plan européen.
A l’aube du 24 mars, on en reviendra, c’est une évidence, à la case départ avec les jetons de l’accroissement des compétences et celui de la scission de BHV. Que les choses soient claires: une réforme en profondeur de l’Etat demandera du temps. Il appartiendra, dès lors, aux régionalistes wallons et bruxellois d’aborder les nouvelles négociations avec des demandes et non pas seulement des refus.
En revanche, il nous appartient de définir clairement ce que nous voulons comme Etat fédéral et les compétences que nous estimons devoir impérativement conserver à ce niveau de pouvoir, à défaut de passer à un autre système. Plutôt que de rêver à une circonscription unique, qui ne serait, ne nous berçons pas d’illusion sur ce point, qu’un atout ajouté au confort numérique flamand, remettons à l’ordre du jour une revendication déjà ancienne, celle d’un Sénat paritaire des Régions. On aurait pu prendre les devants dans les domaines de l’économie et de l’emploi et surtout dans celui de la coopération au développement, secteur de facto régionalisé au travers des nombreux accords de coopération que nous avons passés avec des pays d’Afrique principalement. De la même manière, une régionalisation accrue de ce secteur permettrait une représentation diplomatique un peu plus équitable pour la Wallonie. Dans un autre ordre d’idée, une révision de certaines clés de répartition permettrait au rail wallon un développement plus conforme à la réalité géographique de la Wallonie. Enfin, au rang de nos revendications, devrait figurer l’exigence d’une alternance linguistique des premiers ministres.
Il nous apparaît urgent de rompre avec la seule position francophone éminemment réductrice en ce qu’elle n’est que linguistique. Dans la foulée, cessons de rêver à Dieu sait quelle fusion de la Communauté et de la Région, ce qui aurait pour effet de nier purement et simplement les spécificités wallonne et bruxelloise. N’imaginons pas plus résoudre nos problèmes intrafrancophones par la création d’une entité Wallonie-Bruxelles, ce qui aurait pour effet d’effacer, au moins symboliquement, le profil régional de la Wallonie. Mais envisageons enfin sérieusement le fait que la Wallonie devrait exercer des compétences relevant aujourd’hui de la Communauté française. Cela nous permettrait davantage de réaliser des synergies et des coopérations avec la Région de Bruxelles-Capitale et avec les autres niveaux de pouvoir. Mais surtout acceptons enfin cette vérité que la régionalisation réussit à la Wallonie. Sans elle, nos exportations ne se porteraient pas aussi bien et nous attendrions toujours un aéroport régional et une gare TGV.
Plutôt que de craindre, frileusement, l’autonomie comme une sombre menace, revendiquons la Région avant de devoir subir l’inéluctable. Le régionalisme n’est pas que du sentimentalisme, c’est avant tout un pragmatisme. Il nous appartient de réconcilier le citoyen wallon avec ses acteurs politiques. Ce projet doit avoir pour cadre la Région, scène la plus appropriée pour un projet de société wallon dans lequel nous pourrons revendiquer une qualité de vie propre à la Wallonie.
Christophe COLLIGNON, Sénateur de Communauté
Jacques GENNEN, Député-échevin
Charles JANSENS, Député-bourgmestre
Guy MILCAMPS, Député-bourgmestre
Sebastian PIRLOT, Député
Eliane TILLIEUX, Députée
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire