« Carte blanche » de Jules Gheude, essayiste politique, auteur de « L’incurable mal belge, sous le scalpel de François Perin » (Editions Mols), dans « Le Soir » du mercredi 21 novembre 2007
Sans doute nos responsables politiques se prennent-ils tous pour de grands stratèges. On reste toutefois abasourdi devant la gaffe monumentale faite, mercredi dernier, par le président du Sénat, Armand De Decker. Il aurait voulu saborder le processus de réconciliation, qu’il est chargé, avec son homologue de la Chambre, de mettre sur pied, qu’il n’aurait pas agi autrement. Tout cela par unique souci de tirer la couverture à lui. Et dire que quelques heures auparavant, il déclarait, d’un air hautain, à un journaliste ne pas vouloir entrer dans le jeu des gesticulations médiatiques…
On a bien raison de parler de machin à propos de ce futur « Collège national pour le dialogue entre les Communautés », qui opérerait dans le long terme et par lequel transiteraient les réformes institutionnelles nécessitant la majorité parlementaire des deux tiers.
Disons-le clairement : tout dialogue de communauté à communauté visant à réformer l’Etat belge est d’emblée voué à l’échec. Pour la simple raison que l’une des communautés, en l’occurrence la flamande, s’est transformée au fil du temps en une véritable Nation. Le terme figure d’ailleurs expressément dans le projet de Constitution flamande déposé par le CD&V.
En d’autres termes, une Nation flamande s’est installée au sein même du contexte étatique belge, empêchant, par la force des choses, la survie de celui-ci.
Il convient dès lors de parler de dialogue de Nation flamande à Communauté française, dialogue qui ne pourrait évidemment porter que sur les modalités pratiques de la partition du Royaume de Belgique.
Dans son éditorial de la « Gazet van Antwerpen » de ce 14 novembre, Paul Geudens pense qu’une solution à la crise pourrait venir de l’article 35 de la Constitution. Introduit en 1993 à l’initiative de feu Hugo Schiltz, et non appliqué à ce jour, cet article, on le sait, ne figure pas dans la liste de ceux qui sont pourraient être soumis à révision.
Le but de cet article est de permettre de dresser la liste des compétences attribuées expressément à l’échelon fédéral, les autres revenant automatiquement aux entités fédérées. En inversant ainsi la réflexion communautaire, Paul Geudens estime qu’une garantie serait donnée aux francophones quant à la volonté flamande de maintenir le cadre belge. Mais il s’empresse d’ajouter que cette liste commune ne devrait pas être trop longue…
En fait, on sait ce que cela signifie. A la fin du mois d’août, le ministre-président flamand, Kris Peeters, dans une interview accordée au « Standaard », avait lui-même précisé que l’Etat fédéral ne devrait conserver que les quatre compétences suivantes : la monnaie, la défense, la fiscalité (encore que les entités fédérées devraient avoir la possibilité d’accorder des kortingen, c’est-à-dire des réductions) et les lignes à haute tension. Bref, un Etat fédéral réduit proprement à l’état de coquille vide.
Tout cela n’a rien de surprenant. Il s’agit, ni plus ni moins, des cinq résolutions votées, en 1999, à la quasi-unanimité du Parlement flamand. Dès le départ, la Flandre a donc joué cartes sur table.
Le grand tort des francophones est sans doute de ne pas vouloir reconnaître l’émergence de cette Nation flamande (en 1973, Manu Ruys, l’ancien éditorialiste très influent du « Standaard » n’avait-il pas sous-titré son ouvrage « Les Flamands » : Un peuple en mouvement, une nation en devenir ?) et d’avoir sous-estimé l’ampleur des revendications flamandes.
Sans doute, le vote flamand intervenu, le 7 novembre, en commission de l’Intérieur de la Chambre, constitue-t-il une gifle monumentale assénée aux francophones. Mais il s’inscrit dans un processus logique de rupture. La Flandre saisit en effet la moindre occasion de progresser sur la voie de son indépendance. La scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde est le dernier volet qui devrait permettre d’assurer l’homogénéité linguistique totale de son territoire. La Nation flamande pourrait ainsi prendre son envol, au départ des trois ingrédients classiques : un peuple, un territoire, une langue.
Dans l’état actuel des choses, on réalise que la Flandre n’entend nullement désarmer. A Armand De Decker qui annonce une réforme de l’Etat sur plusieurs années, Bart De Wever, le président de la N-VA, répond : Nous la voulons tout de suite !. Quant au ministre flamand des Affaires intérieures, Marino Keulen, il annonce sa décision de ne pas nommer les trois bourgmestres « récalcitrants » de la périphérie. Enfin, cerise sur le gâteau, Marc Bossuyt, le nouveau président flamand de la Cour constitutionnelle, précise que de nouvelles élections seraient impossibles sans règlement préalable de la question de BHV !
Face à cela, les partis francophones offrent le lamentable et ubuesque. spectacle de leur désunion. Censés faire partie de cette Orange bleue qui se refuse à prendre forme, MR et CDH sont plus que jamais à couteaux tirés.
Voilà plus de deux ans que, par le biais de diverses « tribunes libres » et de mon dernier livre, je tente de faire comprendre que la formation d’un nouveau gouvernement fédéral, après les élections du 10 juin 2007, s’avérera impossible.
François Perin avait, lui aussi, avec la clairvoyance qui le caractérise, pressenti l’impasse actuelle. N’écrivait-il pas, en avril 1981 : Les Wallons ont beau prouver par les récents sondages du « Soir » jumelé au « Standaard » qu’ils sont avant tout Belges et même en majorité « unitaires » ; qu’importe puisque la majorité des Flamands n’ont aucune envie d’en être solidaires ! Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver : les Wallons et les Bruxellois vont se retrouver assez bêtement Belges tout seuls. Après d’éventuelles élections qui n’auront qu’exacerbé le malaise dû à une crise insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par « implosion ». Et, le 9 mars 1983, dans un long article du « Pourquoi Pas ? », il imaginait le scénario de la proclamation unilatérale d’indépendance de la Flandre au sein du Vlaams Parlement. 23 ans avant le fameux documentaire-fiction de la RTBF !
Aujourd’hui, force est de reconnaître que la fiction a rejoint la réalité. La responsabilité des responsables francophones est de préparer d’urgence l’après-Belgique.
Parmi les diverses formules qui se présentent (Etat wallo-bruxellois, Etat wallon, réunion à la France, réunion à une autre composante européenne que la France), mon choix, après mûre réflexion, se porte sur la troisième.
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire