« Carte blanche » de Jean-Marie Bocquet,
citoyen français, dans « Le Soir » du samedi 9 août 2008
Chers amis belges, j’ai frémi en lisant
le récent sondage, paru dans La Voix du Nord, où il est dit que les partisans
d’un rattachement de la Wallonie à la France se mettaient doucement à conquérir
la majorité.
Je comprends que l’intransigeance et le
mépris flamands génèrent cette réaction d’amertume, qui est plus, je l’espère,
une expression de lassitude qu’une conviction charpentée. De grâce, amis
wallons, avant de vous prononcer, regardez-y à deux fois, ne vous laissez pas
aller, renseignez-vous, analysez les conséquences d’un tel choix.
Tenez-vous sur vos gardes. Dans les
milieux parisiens, on évoque de plus en plus une annexion de la Wallonie par la
République, qui lui ouvrirait tout grand ses bras maternels. N’imaginez pas que
ce soit par pure humanité… L’idéologie qui gît là-dessous est, parmi tant
d’autres, l’une de ces expressions de la suffisance parisienne qui se donne
pour le must de la pensée.
Imaginons un instant la Wallonie
devenue française. La voilà dévitalisée de son art de vivre ensemble, au profit
du culte des «élites» autoproclamées des soirées parisiennes, de la jet-set,
toujours fort occupée à se lustrer le nombril dans ses palaces et ses yachts,
du côté de « St Trop’ » ou de « St Bart’ » occupée à se déverser sur les
programmes télé à longueur de soirées. L’effet français ?… Vous êtes-vous déjà
demandé pourquoi affluent dans vos homes ou maisons de retraite, tant de
familles qui souhaitent assurer à leurs aînés des jours paisibles ? Pourquoi
des autocars entiers emmènent dans vos écoles des enfants marginalisés et
découragés par l’Education Nationale française ? Pourquoi la vie associative,
en matière éducative, culturelle, touristique, est si florissante chez vous,
languissante chez nous ? Pourquoi il y a en Wallonie 5 ou 6 quotidiens, et chez
nous, dans le Nord-Pas de Calais, qui compte le même nombre d’habitants, un
seul : La Voix du Nord. Pourquoi la création artistique et cinématographique
est chez vous si féconde, reconnue et estimable, proche des gens de tous les
jours, humaniste et respectueuse, tissée de coeur et d’esprit ? N’enviez
surtout pas la France, ce territoire qui ressemble à la toile d’une araignée
nommée Paris, dont le souci premier est de dominer. Alors laissez-moi vous
présenter ce qui vous attend…
En écoutant la météo de France Info,
vous sauriez tout sur le temps qu’il fait en haute vallée de l’Ubaye, ou sur
l’arrière-pays niçois, et que, « plus au Nord, le temps sera couvert ». Parce
qu’au Nord, c’est bien connu, il pleut toujours. Finie la facétieuse indépendance
de la RTBF. Poutine et Sarko qui n’avaient pas bu que de l’eau, terminé,
lèse-majesté. Vous seriez, comme les gens du Nord, considérés comme citoyens de
seconde zone, ringards, pas « tendance », un peu ridicules et objets de toutes
les plaisanteries. Vous, les catholiques, seriez vus comme les survivants
décalés d’une superstition dépassée et dangereuse, on n’aurait pour vous
qu’ironie chez les « éducs » et les bobos. Supporters du Standard, plus
question d’être leaders du championnat. On a chez nous les superbes écuries de
l’OM et du PSG, auxquelles est due toute complaisance. Sur la route, ou à
l’Urssaf, aux Impôts ou aux Assedic, vous auriez droit à une administration
arrogante et sans réplique, qui vous harcèlerait de papiers à remplir et
n’aurait aucun scrupule à vous jeter, si, par hasard, il vous manquait une
signature ou un cachet. Car sous les ors de la République, couve une monarchie
absolue qui ne peut s’avouer – Révolution oblige… – mais n’a rien perdu du
culte de soi-même qui caractérise le pouvoir en France. Vous apprendrez que la
France a toujours raison, qu’elle est la plus belle, la plus maligne, la plus
généreuse, elle qui se fait régulièrement rappeler à l’ordre par Amnesty
International, ou la Cour européenne des droits de l’homme. Que les
Champs-Elysées sont « la plus belle avenue du monde », et Paris, la « Ville
Lumière ». Demandez un peu ce qu’en pensent les banlieusards qui passent 3
heures et plus, comprimés dans les métros et RER pour aller au travail… Que
Bonaparte, avec le million de morts qu’il a semés d’Haïti à la Russie, de
Madrid à Alexandrie, est le plus grand génie de l’Histoire mondiale.
Historiens, vous vous abstiendrez de nous présenter la vie des « gens d’en bas
», de porter la moindre appréciation sur les massacres et atrocités fomentés
par les pouvoirs et armées du Roi ou de la République, et dont les gens d’ici
ne savent d’ailleurs quasi rien : Turenne au Palatinat, les Colonnes Infernales
en France de l’Ouest, la Guerre d’Espagne et les tueries napoléoniennes, la
colonisation : rien que du bien, c’était pour la gloire de la Nation.
Heureux serez-vous d’attendre, pour le
moindre aménagement, pour bâtir un appentis ou organiser une sortie d’enfants,
que vos dossiers « montent » là-haut pour approbation, en « redescendent » des
mois après, refusés, selon le principe que l’Etat a toujours raison et n’a
nullement à se justifier. De vous soumettre à une législation foisonnante
superposant les contraintes, selon le vent des faits divers. Vous deviendrez
comme tout citoyen français : un suspect.
Quant à vous, les Tournaisiens, ne
parlez plus notre picard : il est chez nous à l’agonie, réduit au rang de «
patois » hideux et vulgaire. Comme sont vus nos paysages et coutumes. Parlez un
peu de tourisme en terre du Nord : on s’esclaffera chez les branchés.
Mais quand même… Avez-vous déjà franchi
la frontière du côté de Quiévrain, de Pussemange ou de Hensies ? Côté belge, la
vie, la lumière, la gaîté. Côté français, tristesse, obscurité et radars. «
Pour votre sécurité », est-il aimablement rappelé. Nous sommes pourtant faits
de la même culture, de la même histoire, du même courage. Mais nous, nous avons
Paris…
Oui, je sais, il y a bien quelques «
rattachistes » en Wallonie… Ils flattent les orgueils et suffisances des salons
qui nous gouvernent. Mais de grâce, amis wallons, restez comme vous êtes.
Combien de Français du Nord vont chez vous comme en vacances, retrouver leurs
vieilles racines oubliées, se requinquer comme à une sève de joie de vivre, de
convivialité, de simplicité, de liberté, d’hospitalité et… d’intelligence. La
vraie : celle du coeur.
A propos de rattachement, rêvons un peu pour finir : pourquoi pas
rattacher le Nord–Pas de Calais... à la Belgique ? 100808
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