mercredi 12 décembre 2012

ENTRETIEN AVEC JC VANDERMEEREN


"Le PS n'a plus la même écoute"

ENTRETIEN PAUL PIRET ET VINCENT ROCOUR

La Libre 280308

Il a fait toutes ses classes au syndicat socialiste. Il a été le porte-drapeau de la FGTB wallonne pendant douze ans. Jean-Claude Vandermeeren cède le témoinà une nouvelle générationde syndicalistes. Entretien bilan.

Jean-Claude Vandermeeren raccroche. Le 17 avril, il prendra congé des camarades après avoir été pendant douze ans l'âme et le visage de la FGTB wallonne. Un dur à cuire pour certains. Un doctrinaire pour d'autres. Un coeur tendre pour d'autres encore.

Fils de militaire, il était entré au syndicat socialiste à l'âge de 16 ans. Il ne le quittera qu'à l'âge de la retraite. Présenté comme l'un des dépositaires du renardisme, il cédera son poste d'administrateur général de la FGTB wallonne à Thierry Bodson, actuel chef de file de la FGTB liégeoise. Avec un certain soulagement. "Cela devenait lourd", concède-t-il.

Au cours des douz dernières années, avez-vous vu la concertation sociale évoluer fortement en Wallonie ?

Les rapports avec les employeurs wallons se sont tendus. Le patronat devient de plus en plus doctrinaire, de moins en moins pragmatique. De là, la difficulté d'avoir des débats en profondeur. Au Conseil économique et social de la Région wallonne (CESRW), je vis cela très fort. J'ai l'impression que les patrons obtiennent plus facilement satisfaction ou croient pouvoir obtenir plus facilement satisfaction en faisant du lobbying auprès du gouvernement wallon ou de certains partis politiques qu'en jouant le jeu de la concertation. C'est un recul. Au niveau fédéral, les employeurs se montrent davantage attachés à la concertation sociale. Il y a là une volonté d'arriver à des accords qu'on ne trouve pas au niveau wallon.

Ne dites-vous pas cela parce que le lobbying que vous pouviez faire auprès du PS, le parti frère, serait devenu moins efficace ?

Le Parti socialiste n'a plus la même écoute, ça, c'est évident. Il est conditionné par l'idéologie dominante. Il a parfois l'air de préférer la compagnie des patrons à celle des syndicalistes. Le PS en Wallonie ne s'engage plus assez au côté des travailleurs, et c'est un problème politique important.

Cela tient à quoi : à la présidence du PS ou à une évolution de société ?

Il y a un problème de la gauche, dans toute l'Europe, qui dès l'instant où elle s'inscrit dans la logique du système capitaliste dominant, a du mal à assumer ses choix. Le socialisme n'ose plus véritablement contester le système. Il se contente d'une ligne défensive, tente de limiter les dégâts dans une Europe capitaliste. La dernière revendication posée par la gauche en Europe, ce sont les 35 heures en France. Et c'est en train d'être remis en cause sans qu'on entende beaucoup le PS français s'en indigner.

Au niveau wallon, c'est encore plus grave. On est dans une situation économique assez catastrophique. On a donc besoin d'un capitalisme dynamique. Et dès lors, le PS a peur de le gêner, il lui fait confiance, lui accorde des cadeaux. Le problème, c'est que le patronat wallon manque de dynamisme. Il y a beaucoup de PME en Wallonie. Mais elles ne grandissent pas. Parce qu'il y a là un patron qui considère qu'à partir d'un certain niveau, le confort de vie est suffisant et que grandir l'oblige à se professionnaliser. En Flandre, une entreprise de deux cents personnes est encore une PME. En Wallonie, on cesse d'être une petite entreprise quand on passe le cap des quarante travailleurs.

Fin des années 90, le président du Mouvement ouvrier chrétien, François Martou, avait lancé un appel à un rassemblement de la gauche. Vous avez été assez critique par rapport à cette initiative. Une occasion manquée ?

Le rassemblement des progressistes reste une priorité pour nous. Mais il faut le faire sur des bases claires. Nous avions un problème avec le PSC, devenu CDH entre-temps.

Vous en avez encore aujourd'hui ?

Joëlle Milquet tient aujourd'hui des positions que l'on peut qualifier de gauche. Mais je ne suis pas certain que cela puisse se traduire dans un programme de gauche. Il ne faudrait sans doute pas grand-chose pour que, demain, on retrouve une alliance chrétienne-libérale sur un certain nombre de points. Pour moi, des progressistes, il y en a essentiellement dans deux partis : au PS et à Ecolo.

Des convergences entre le PS et Ecolo ont été tentées. Un fiasco…

"Cela n’a pas marché, parce que PS et Ecolo se partagent un peu le même électorat. Et je le regrette. C’est de la vision tactique, à court terme. Je constate que quand les bases respectives se retrouvent, dans un colloque ou une journée de réflexion, elles partagent souvent une certaine unité de vue.

Vous parlez de patrons doctrinaires. Mais n’est-ce pas précisément un reproche qu’on a pu vous faire, à vous, à la FGTB wallonne ?

C’est un cliché. La FGTB wallonne colle très fort à sa base. Quand il y a un mécontentement, on l’exprime sans doute plus vite que notre homologue flamande ou que la CSC. Mais nous sommes des pragmatiques. Pour prendre un exemple, si nous sommes favorables aux sociétés publiques d’investissement, la SRIW ou la Sogepa, ce n’est pas pour des raisons doctrinaires, mais parce que les fonds privés ne prennent plus de risques.

La Wallonie n’est plus aussi rouge qu’avant. La CSC progresse à chaque élection sociale…

"Nous avons de bons contacts avec la CSC. On essaye toujours de travailler au maximum en front commun syndical. C’est vrai que la CSC a proportionnellement plus augmenté en Wallonie que nous. C’est dû en partie aux changements qui sont intervenus dans la structure des entreprises. La FGTB est traditionnellement mieux implantée dans les grosses entreprises. Mais ces entreprises ont fondu ou disparu. Cela a permis à la CSC de rééquilibrer le rapport de force.

Souhaiteriez-vous une concertation sociale décentralisée au niveau des Régions ?

Plus de concertation sociale au niveau des Régions, oui. Mais uniquement dans le cadre des matières régionales ou communautaires. Il n’est en revanche pas souhaitable de régionaliser les conventions collectives ou le droit du travail.

Faut-il craindre le débat institutionnel ?

"Non. Il faut une Sécu la plus large possible. Plus elle touche du monde, plus on crée de la solidarité. Mais on peut discuter de l’utilisation différenciée de la Sécu en tant qu’outil de politique économique. Les Wallons pourraient mettre l’accent sur l’emploi des jeunes et les Flamands, sur une autre catégorie de personnes s’ils le souhaitent. Le monde politique wallon devrait s’intéresser à cela et cesser de dire qu’il n’est “demandeur de rien”. Car à force d’être demandeur de rien, on n’aura jamais rien. Cela peut être profitable à la Wallonie. Quand l’Etat fédéral réduit le coût du travail en équipe, il cherche à soulager l’industrie automobile. Mais il n’y a aucun constructeur automobile en Wallonie. Vous avez créé un transfert Sud-Nord. Cela ne me dérange pas que la Flandre prenne des mesures ajustées à sa situation économique, mais alors, négocions aussi des mesures plus favorables à l’industrie wallonne.

C’est quoi, le credo régionaliste de la FGTB wallonne ?

Je pense qu’il est nécessaire d’avoir un pays avec trois régions. Dans la commission Wallonie-Bruxelles, on prend d’ailleurs conscience qu’une fusion Communauté française-Région wallonne représenterait une complication supplémentaire, parce que Bruxelles sera obligée de rester une Région. Bruxelles est une Région bilingue, les francophones n’y sont pas maîtres. Et personne ne conteste cela. Il faut dégonfler cette idée de l’Etat Wallonie-Bruxelles, de l’Etat francophone.

Vous êtes pour la suppression de la Communauté française ?

Pour moi, ce n’est pas un outil utile pour le développement économique de la Wallonie et de Bruxelles. On peut garder un chapeau commun. Mais il faut aussi tenir compte des réalités de terrain. Pourquoi ne pas créer un réseau d’enseignement wallon et un réseau d’enseignement bruxellois ? Il y a bien l’enseignement provincial et de la Communauté française. Concernant le service public de radio-télévision, je veux bien qu’il reste une RTBF. Mais s’il y a quatre stations de radio, pourquoi n’en dédicace-t-on pas une à la culture wallonne ?

Où identifier les solidarités entre Bruxelles et la Wallonie ?

Je suis partisan de solidarités avec la Flandre aussi. Je ne considère pas la Flandre comme un ennemi de la Wallonie. Il y a plus de liaisons économiques entre Liège et le Limburg qu’entre Liège et Bruxelles. Je ne suis pas dans un rapport de langue. Ça, c’est du nationalisme.

Etes-vous à équidistance entre Bruxelles et la Flandre ?

Oui, en quelque sorte.

La Flandre va toujours garder un lien fort avec Bruxelles. Si la Wallonie prend ses distances, Bruxelles passera de façon manifeste dans la zone d’influence de la Flandre…

Il y a des gens adultes à Bruxelles, qui réfléchissent en tant que Bruxellois. Bruxelles n’est pas la capitale de la Flandre. Elle est le siège du gouvernement flamand. C’est différent. Bruxelles est une capitale européenne, une Région à part entière. Je demande à la Flandre de la reconnaître comme telle. Arrêtons d’avoir des complexes. Les Flamands ne vont pas venir avec des chars envahir Bruxelles. On est dans un pays pacifique.

Il manque des relais politiques à ce courant régionaliste…

J’en suis bien conscient. Le problème, c’est que les hommes politiques actuels sont plutôt localistes. Mais si quelqu’un voulait relancer un mouvement wallon, il trouverait des gens pour l’écouter et voter pour lui. Je crois que c’est surtout au PS que ce débat doit avoir lieu. Il n’a pas lieu pour l’instant.



31.3.08







 

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