mardi 11 décembre 2012

GERARD DEPREZ (PAN, 29/10/07)



Profession : Député européen – président du MCC (MR)

Age : 64 ans

Signes particuliers : En pleine crise de la soixantaine, Gégé flingue à tout va. Projetterait-il de bientôt faire profiter de ses avis éclairés une autre crémerie que le MR ?



Votre dauphine Joëlle Milquet a eu des mots assez durs à votre égard pendant la campagne. Elle se sent toujours trahie ?

Non, je mets ça sur le compte du fait qu’on était en campagne électorale et que je suis intervenu pour dire des choses qu’elle n’a pas aimées. Bon, au niveau de sa réponse et de son argumentation par rapport à ce que j’avais dit, ce n’était pas, je dirais… d’une sagacité extrême. Elle s’en est prise à la personne, c’est rare qu’elle le fasse. Donc, elle a dû être excédée par quelque chose que je n’ai pas mesuré. Sinon, nos rapports sont restés, à l’exception de ce bref épisode, d’une très grande cordialité.

Pendant les négociations, vous l’avez soutenue plus d’une fois…

D’abord, il faut savoir que j’ai eu à partir du cdH, et notamment de Joëlle Milquet, beaucoup plus d’informations sur le déroulement effectif des négociations que je n’en ai eu de la part de Didier Reynders. Je l’ai soutenue à un certain moment parce que je trouvais que lui faire porter toute seule l’échec de la mission d’Yves Leterme était excessif, et qu’elle avait raison de lui avoir dit non. Parce que le scénario dans lequel Leterme voulait engager la coalition était tout à fait foireux. Donc, je trouve qu’elle a eu là un geste intelligent et salutaire, qui a été ressenti comme tel par l’opinion publique.

Faute de « sages » au cdH, elle a fait appel à vous ?

Non. Pas du tout. Je lui donnais mon avis, elle me donnait le sien, et je n’avais qu’un seul objectif, et tous ceux qui ont entendu nos conversations auraient pu s’en rendre compte : essayer de jeter des ponts. A certains moments, les relations entre Joëlle Milquet et Didier Reynders, plus généralement entre le cdH et le MR, sont extraordinairement conflictuelles. Pire, c’étaient de franches relations d’animosité. Donc j’ai essayé d’expliquer la position de l’un à l’autre et de l’une à l’autre.

C’est quand même un signe…

J’ai l’habitude de donner mon avis. C’est à la fois réjouissant et consternant. A partir du moment où on demande votre avis, c’est que vous n’êtes plus au cœur de l’action. Sinon, on ne demande pas votre avis, on définit sa position (rires).

Sans être autour de la table, vous jouez donc quand même un rôle dans les négociations ?

Non. Didier Reynders ne m’a rien demandé et fait une utilisation zéro de moi. Mais je suis libre. Donc si j’ai envie de parler à Joëlle Milquet, ou à André Antoine, à Van Rompuy ou à Dehaene, cela m’appartient. Si j’ai envie de leur dire, « bon écoutez, je pense ceci et je pense cela », et s’ils sont réceptifs, il n’y a personne qui va commencer à contrôler mes contacts. Je n’ai demandé d’autorisation à personne. Et je ne rends de compte à personne.

Au MR, on répond que vous n’assistez jamais aux réunions internes…

C’est de la connerie, j’ai manqué deux réunions. Une parce que j’étais en Espagne, c’était pendant les vacances. Et une autre parce que l’ordre du jour était tellement squelettique que je me suis dit que ça n’avait pas beaucoup d’intérêt. Pour le reste, j’y assiste. Je viens d’assister à cinq réunions d’affilée.

Puis il y a ces problèmes avec Olivier Maingain…

Ce n’est pas un problème de fond. Si vous me demandez, objectivement, si je trouve qu’il serait légitime d’étendre les limites de la région bruxelloise, ma réponse est oui. Je n’ai aucun problème par rapport à ça. Mais la question n’est pas celle-là, la question est de savoir ce qu’il faut faire maintenant, partant du principe qu’il faut essayer d’avoir un gouvernement, que ce gouvernement n’a que la majorité simple, et que d’une manière ou d’une autre il va falloir trouver une solution à BHV à la majorité simple. Et donc je dis que si tous les négociateurs francophones prennent la position d’Olivier Maingain au pied de la lettre, il n’y a pas d’Orange-bleue possible. C’est contradictoire. C’est ma position et c’est le différend que j’ai avec Olivier Maingain. J’ai aussi un différend tactique sur le plan strictement politique : ça sert à quoi, de dire à toute l’opinion publique francophone qu’il n’y aura pas de scission de BHV sans élargissement ? Qu’est-ce qu’il dira s’il y a scission mais pas d’élargissement, et qu’est-ce que le MR dira ? Et les socialistes vont dire « bande de snuls, vous êtes des vendus, vous avez fait les matamores et vous n’êtes capables de rien ». C’est se mettre la tête sur le billot, pour que le bourreau actionne la hache. Sur le plan tactique, je trouve qu’il y a là-dedans une forme de stupidité.

Cet épisode a quand même fait apparaître une fameuse friction entre les deux chapelles du MR…

Oui, mais ça n’est pas seulement entre les deux chapelles. Il y a beaucoup de gens dans le MR qui sont d’accord avec mon analyse, mais qui ne disent rien. Et il y a quelques maximalistes, qui sont d’accord avec Olivier Maingain qui le disent. Je pense qu’il y a plus de gens en accord avec ma position qu’avec celle d’Olivier Maingain.

Didier Reynders vous respecte-t-il autant qu’il respecte Olivier Maingain ?

C’est une bonne question. Est-ce que Reynders respecte quelqu’un ? Ou est-ce qu’il utilise quelqu’un ? Il utilise davantage Olivier Maingain que moi, ça me semble évident.

Michel Lebrun, récemment, nous disait que vous auriez dû être plus patient avant de quitter le PSC, et que vous regrettiez aujourd’hui. Que lui répondez-vous ?

Il a raison sur les deux points. Mais être plus patient, à mon avis, n’aurait servi à rien. Parce qu’en toute hypothèse, le cdH n’aurait pas suivi la ligne politique que je proposais. Est-ce que je regrette le choix politique que j’ai fait, à savoir de dire qu’il faut essayer de renforcer dans le monde francophone un pôle politique qui soit de nature à battre le parti socialiste et à contester son leadership, là j’ai eu raison, et je ne regrette pas le choix que j’ai fait. Si vous me demandez si sur le plan personnel, c’est plus agréable pour moi, de vivre dans un univers social-chrétien ou dans un univers libéral, la réponse est indiscutable. Je ne retrouve en rien, à l’intérieur du MR, sur le plan humain, ce que j’ai rencontré au PSC. N’oubliez jamais que je n’ai pas voulu devenir libéral ; j’ai voulu construire une famille politique, dans laquelle on mettait ensemble les sociaux-chrétiens et les libéraux. Je ne demandais à personne d’abandonner son drapeau. J’essayais de poursuivre un nouveau vecteur politique, et je n’ai réussi que partiellement. Didier Reynders vient de le concrétiser parce qu’indépendamment du fait que Didier est ce qu’il est, il a quand même réussi quelque chose d’historique pour la première fois depuis l’instauration du suffrage universel.

Justement, c’est la concrétisation de 10 ans de rêve, pour vous ?

Oui, mais ce n’est que le début puisque mon objectif est de faire en sorte que la Wallonie sorte du rouge, comme je dis, et donc le deuxième rendez-vous est en 2009. Pour l’instant, je commence à être interrogatif parce que je trouve que tout ça démarre assez mal. On est entrés dans une période à la fois de risque et d’instabilité gouvernementale, non pas tellement du fait des partenaires mais du fait des échéances. Tout le monde à déjà les yeux rivés sur 2009. Tout le monde a la frousse au ventre. Parce que tout est possible en 2009. C’est quelque chose qui pèse sur les négociations maintenant, d’une manière considérable.

Le MCC se porte bien ?

Il ne se porte pas trop mal. Vous savez, mine de rien mais personne ne le dit, nous avons plus de parlementaires au niveau fédéral que le FDF (rires) !

Comment voyez-vous l’avenir du MCC ?

Je m’interroge beaucoup… Allez, soyons tout à fait net : si le MR doit tomber sous la coupe du FDF, à mon avis je n’ai pas d’autre choix que d’autonomiser de plus en plus le MCC et de reprendre un maximum de liberté, cela me semble évident.

C’est un ultimatum ?

Non ce n’est pas un ultimatum, c’est une analyse. Je ne menace personne.

Au pire, qu’est ce que vous pourriez faire ? Vous retirer du MR et rejoindre le CDH ?

Grâce au ciel, on en n’est pas là. Je ne sais pas si la démarche que j’aurai à ce moment-là sera une démarche dans laquelle j’essaierai d’entraîner le MCC ou si ce sera une démarche personnelle.

A titre personnel, vous pourriez retourner au cdH ?

Il y a plusieurs éventualités. De un, j’ai l’habitude de me battre, je suis un peu guerrier. Je ne considère pas que la partie soit perdue au MR. Et l’échéance de 2009 me mobilise quand même. Elle est le couronnement de ce qui a été entamé il y a une dizaine d’années, qui réussit sur le plan électoral, qu’on essaie de réussir sur le plan fédéral, et qu’il faudrait prolonger aux niveaux régional et communautaire. Donc je mettrai toute mon énergie là-dedans. Si on ne me suit pas, que ça ne marche pas, ou si les choses tournent différemment, j’ai toujours une deuxième possibilité, à titre personnel, de me retirer ou de faire autre chose. Je ne suis plus un gamin ni un enfant de chœur, et j’ai fait ma communion solennelle il y a longtemps. Et trois, j’analyserai la situation politique à ce moment-là et je verrai.

Un retour au cdH est inimaginable ?

Inimaginable ? Non, absolument non (rires). Supposons, soyons francs, indépendamment de la situation du pire que nous venons d’envisager, supposons qu’on réussisse tous les paris dans lesquels nous nous sommes engagés, et ceux dans lesquels je me suis engagé à titre personnel. A ce moment-là, je me sentirai libre de retourner dans ma famille sans être déloyal vis-à-vis de quiconque. Je n’ai jamais dit que j’étais libéral. J’ai toujours choisi un vecteur politique pour obtenir un objectif politique. Et je dis toujours publiquement à la télévision, dans les journaux, et je le confirme maintenant, je suis un social-chrétien du MR, je n’ai jamais dit que j’étais un libéral.

Vous allez enfin écrire ce bouquin sur la Wallonie dont vous parlez depuis des années ?

Oui, mais ce n’est pas un bouquin sur la Wallonie. Je l’ai regardé encore hier, je l’avais commencé pendant les vacances qui ont suivi ma perte de la présidence du PSC, en 1996 en Ardèche. Je ne l’ai jamais publié parce qu’à l’époque, j’étais beaucoup plus pessimiste que maintenant. Je ne sais pas pourquoi. C’est un bouquin sur la manière dont les Francophones devaient s’articuler dans le cas où la Belgique ne tiendrait pas le coup. J’estime que ce n’est pas le bon moment pour le publier. Pour l’instant, je me fixe comme objectif que la Belgique tienne le coup.

Et si elle devait disparaître, quelle est votre proposition ?

Elle ne peut pas disparaître. Je ne sais pas pourquoi, je suis devenu beaucoup plus… je ne dirai pas optimiste parce que ce n’est pas le mot qui convient, mais je pense que la Belgique changera encore plusieurs fois de nature.

Avez-vous un moment préféré dans la journée ?

Souvent, c’est un moment dans lequel je prends un café et où, malheureusement, j’allume une cigarette.

Bière ou vin ?

Un peu les deux. J’ai d’énormes difficultés à faire le repas du soir si je n’ai pas un verre de vin. Et généralement j’en prends deux.

Pour ou contre la commission Arena ?

Je trouve que l’idée était séduisante. Mais la composition m’a franchement surpris.

Le nouveau traité européen.

Je ne connais pas les derniers détails. Ils ont trouvé une solution aux problèmes polonais et italien, et à ceux en suspens. Il ne faut pas le dire trop fort, mais c’est une victoire s’il parvient à être ratifié. C’est à 95 % le traité constitutionnel. Il faut dire la vérité, qu’on ne dit pas au peuple, parce que cela exigerait des procédures de ratification différentes.

Olivier Maingain ou Didier Gosuin ?

Incontestablement, je me sens plus proche de Didier Gosuin. Mais je regrette qu’il n’ait pas eu le courage d’affronter Olivier Maingain.

Didier Reynders ou Louis Michel ?

Mon compagnonnage avec Louis Michel date de 20 ans. On s’est connus au début des années 80. C’est un vieil adversaire, un vieux complice. Comment voulez-vous que j’hésite ? Les contacts personnels avec Louis Michel sont d’une toute autre nature qu’avec Didier Reynders. D’un côté, vous avez une convivialité distante, et de l’autre côté une convivialité cordiale. Il n’y a pas de commune mesure.

Guy Spitaels ou Philippe Busquin ?

J’ai aussi un compagnonnage plus long avec Guy Spitaels. L’étrangeté de ce personnage me convient assez.

Vous ne l’avez pas encore percé ?

Pas tout, non.

Melchior Wathelet ou Benoît Lutgen ?

Mon histoire est liée à celle de Benoît Lutgen. On a une famille commune.

Vous le voyez président du cdH ?

Je ne me permets pas de me prononcer. Joëlle ne va pas quitter la présidence.

Qui verriez-vous remplacer Didier Reynders à celle du MR ?

Je pense que dans la nouvelle génération, celui qui a le plus de potentiel, c’est Charles Michel.

Et au PS ?

Après le départ de Di Rupo, je verrais bien une Onkelinx. Mais il y a un type qui m’intrigue, c’est ce prof de l’ULB qui a servi de médiateur à Charleroi, et qui est maintenant dans le gouvernement wallon. S’il éclot, ce sera celui-là.

Un commentaire impertinent à votre président de parti ?

Je lui dirais que dans « président de parti », il y a deux choses : il y a président, et il y a parti. Il faut s’occuper des deux.

Et à Joëlle Milquet ?

Love is not enough. Il faut se méfier du sentiment en politique.

Son attachement à Di Rupo pourrait la perdre ?

Je n’ai pas dit spécialement avec lui. Je pense qu’elle a des difficultés à travailler dans un environnement hostile. Or, c’est L’ABC du métier.

Et un commentaire impertinent à Olivier Maingain ?

Ah, s’il pouvait changer de métier…

Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?

Vivant.

18.10.10
 

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