vendredi 14 décembre 2012

OFFENSIVE CONTRE LE LIEN ENTRE BXSL ET WALLONIE (La Libre)



Jean-Paul NASSAUX  - 290808

Le courant régionaliste wallon a opté pour la suppression de la Communauté française. Il n'est pas seul : diverses personnalités s'affirment régionalistes bruxellois. Avec quelles conséquences?

Historien et politologue. Auteur de plusieurs études sur les relations communautaires et la vie politique bruxelloise.

L'orientation confédéraliste adoptée par une partie importante de la classe politique flamande, confortée lors des dernières élections fédérales, pose le problème du rôle futur de l'Etat belge et de l'architecture institutionnelle francophone. Rudy Demotte, ministre-président de la Région wallonne et de la Communauté française et Charles Picqué, ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, ont apporté une pièce intéressante à ce dossier en cosignant, dans "Le Soir" du 17 avril 2008, un texte intitulé "Pour une fédération Wallonie-Bruxelles, un plaidoyer birégional". De son côté, le MR, par la voix, notamment, du député wallon Richard Miller, s'oppose à la régionalisation de l'enseignement et plusieurs personnalités politiques, universitaires, intellectuelles ou du monde associatif plaident en faveur d'un renforcement de la relation entre Bruxelles et la Wallonie. Cependant, un point de vue différent s'exprime, qui met l'accent sur les différences entre ces deux régions et qui vise à la régionalisation de compétences telles que l'enseignement ou la culture.

Celles-ci sont aujourd'hui exercées par la Communauté française qui est le lien entre les francophones de Wallonie et de Bruxelles. Rappelons que la complexité institutionnelle belge procède de la différence de vision entre Flamands, partisans de la création de communautés, et francophones, favorables à la mise en place de régions. Terre de compromis plutôt que de violence, la Belgique a donc été restructurée autour de communautés et de régions. Comme le soulignait le regretté Jean Stengers, professeur d'histoire à l'ULB, "les communautés [...] ont une consistance inégale au nord et au sud du pays". Evoquer une approche ethnique dans l'attachement à un lien entre la Wallonie et Bruxelles n'a dès lors pas beaucoup de sens car, comme l'écrivait toujours Jean Stengers, "au nord, "ons volk" est une expression et une réalité qui vont de soi; au sud, elles n'ont pas de réel équivalent" (1). Les francophones ont réduit le rôle de leur communauté lors de la réforme de l'Etat de 1993, resserrant ses compétences sur la culture et l'enseignement. Le courant régionaliste wallon veut aller plus loin et opte pour la suppression de la Communauté française. Leurs arguments ont été abondamment exposés - voir, par exemple la carte blanche de l'historien Jean Pirotte parue dans "Le Soir" du 4 mars dernier. Une position analogue a été prise par des personnalités bruxelloises, notamment par les initiateurs de l'appel "Nous existons" et par les fondateurs du nouveau parti Pro Bruxsel. Une telle approche a été commentée par le constitutionnaliste Francis Delpérée dans l'ouvrage qu'il a consacré à la Constitution (2). "Plus étonnant encore", écrit-il, "un certain nombre de Bruxellois, tout heureux de pouvoir célébrer l'originalité de leur capitale et de refuser un compagnonnage trop étroit avec les Wallons, sont prêts à tenir le même discours. Pour cela, ils doivent contester l'existence de la Communauté française qu'ils n'hésitent pas, dans leurs discours, à réduire en morceaux. Ils doivent aussi gommer le caractère principalement francophone de Bruxelles et en faire une ville biculturelle et même, pour faire bonne mesure, une métropole multiculturelle. Ils veulent se retrouver entre Bruxellois et sont fiers de l'être. Ils se noient en prétendant arriver à l'existence. Ils se sacrifient sur l'autel de la patrie fédérale". Et Francis Delperée d'ajouter en note : "sans être assurés de voir récompenser ce beau geste politique. La naïveté deviendrait-elle synonyme de lucidité ?"

Nous ne pensons pas que le constat de naïveté s'applique à tous ceux qui adoptent une telle position. Certains d'entre eux défendent en effet un projet très cohérent qui comporte une dimension linguistique visant à faire de l'anglais la langue dominante à Bruxelles. Serge Moureaux voit dans Bruxelles une ville de culture française ouverte aux autres cultures. L'étude du professeur Rudi Janssens de la VUB a établi que le français était effectivement la langue dominante à Bruxelles et celle vers laquelle se tournaient de plus en plus les jeunes issus de l'immigration. Or, enlever aux francophones bruxellois la maîtrise de leur enseignement en confiant celui-ci à une Région bilingue - et demain trilingue, en intégrant l'anglais ? -, offre un moyen efficace d'affaiblir à terme la position du français à Bruxelles. La raison invoquée est de parvenir au réel multilinguisme des jeunes Bruxellois. L'argument est certes recevable, même si nous pouvons nous demander pourquoi les jeunes Wallons ne devraient pas bénéficier de la même attention. Mais prenons garde à ne pas aboutir, comme le craignent Jacques Debatty, Daniel Fastenakel et Anne-Françoise Theunissen, à réduire "les questions liées à l'enseignement en une seule : l'apprentissage des langues". Les mêmes auteurs relèvent que l'objectif de l'appel "Nous existons" est "de rendre "la plupart" (de qui parle-t-on ?) des jeunes Bruxellois compétents en trois langues ! Alors qu'aujourd'hui nous avons les pires difficultés à rendre les jeunes des milieux populaires et/ou issus de l'immigration compétents dans une seule de ces langues !" (3) . Nous ajouterons, pour notre part, qu'un meilleur apprentissage des langues peut être mis en place dans le cadre institutionnel existant. L'accord sur l'échange de professeurs signé le 1 er février dernier entre les ministres francophone et flamand de l'enseignement, Marie Arena - aujourd'hui passée au gouvernement fédéral - et Frank Vandenbroucke ouvre une voie intéressante en ce sens.

Pour bien mesurer toutes les conséquences possibles d'un transfert de l'enseignement à la Région bruxelloise, il faut replacer cette revendication dans le cadre d'autres idées défendues par le professeur Philippe Van Parijs et assumées par diverses personnalités qui s'affirment régionalistes bruxellois. Il y a, d'abord, l'octroi du droit de vote aux élections régionales aux Européens domiciliés à Bruxelles. Proposition qui, si elle est suivie, comme y poussent certains, de l'instauration de l'anglais comme troisième langue officielle bruxelloise, pourrait avoir pour effet de diluer le pouvoir francophone sur l'enseignement et de faciliter ainsi la mise en oeuvre d'une autre proposition du professeur Van Parijs. Il s'agit de l'organisation des masters universitaires et de la recherche scientifique en anglais. Quand l'on sait le rôle joué par l'enseignement et la recherche universitaires dans le rayonnement d'une langue, on peut parfaitement imaginer l'affaiblissement qu'entraînerait une telle évolution pour la langue française à Bruxelles. Certains défenseurs de la culture néerlandaise ont d'ailleurs déjà exprimé une inquiétude analogue. La voie de la standardisation anglo-saxonne ne risque-t-elle pas d'appauvrir le modèle européen, en réduisant l'influence d'autres grandes cultures qui le nourrissent de leurs valeurs ?

1. J. Stengers et E. Gubin, "Le grand siècle de la nationalité belge", Racine, Bruxelles, 2002, p.195.

2. F. Delperée, "La Constitution de 1830 à nos jours", Racine, Bruxelles, 2006.
3. "Politique". Revue de débats, n°49, avril 2007, p.36.

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