samedi 8 décembre 2012

UN RAPPEL DE 2003


Coopération au développement ? Coopération internationale ?
 
Que se cache-t-il derrière ce questionnement ? De la sémantique ? Du juridisme ?
Je pense quant à moi que cette discussion nous indique l’évolution d’un concept, le symptôme d’une maladie dont le diagnostic a été fait depuis plusieurs années : la stratégie " développementaliste " telle qu’elle fut appliquée dans les quarante dernières années a montré ses limites, si pas son échec. (1)
Place maintenant au " développement durable ", qui veut concilier les trois piliers du social, de l’économique et de l’environnement. J’aurais souhaité y voir s’ajouter un quatrième pilier, celui de la justice et de l’équité, avec des stratégies basées sur le partenariat et la négociation, et non sur la domination ou le paternalisme.
En Belgique, après l’Office de Coopération au Développement (OCD) qui correspondait à l’assistance technique juste après les indépendances du Burundi, Congo et Rwanda, se crée
l’Administration Générale de la Coopération au Développement (AGCD) en 1972. Schématiquement, deux conceptions ont coexisté ou se sont opposées : certains pensaient qu’il suffisait de combler un retard économique et d’investir pour " développer " tout en accordant quelques budgets pour les projets sociaux en augmentant l’aide publique pour arriver au résultat attendu ; d’autres, dans la foulée de mai 1968, qu’il suffisait d’exporter la révolution.
Pour la Belgique, c’est de cette époque que datent les fameux " éléphants blancs " couverts par le Ducroire tout comme les projets dénoncés par la commission parlementaire fédérale sur la coopération au développement en 1997. C’est de cette époque aussi que datent des positions tranchées qui ont laissé jusqu’à ce jour des traces personnelles et institutionnelles dans le monde des ONG belges, surtout francophones. Ceux qui décrivaient la " coopération au développement comme la couverture morale de l’exploitation néo-coloniale " n’avaient évidemment pas beaucoup d’oreilles favorables au sein du pouvoir politique et administratif et dans le monde associatif caritatif et/ou humanitaire.(2)
En juillet 1995, 13 personnes liées au monde des ONG flamandes restées structurellement unies contrairement à leurs homologues francophones publient leur " concrete voorstellen voor een meer slagvaardige Vlaamse NGO-beweging op de drempel van de 21ste eeuw " sous le nom de " Ekstermolen platform ". Leur programme sera mis en œuvre par le Secrétaire d’Etat Réginald Moreels (Citons ici le rôle important de deux membres de l’Ekstermolengroep, l’un deviendra Chef de Cabinet de R.Moreels, et l’autre interviendra comme expert de l’Europees Centrum voor Ontwikkelingsbeleid en Management , institution qui émargera alors au budget de l’AGCD/DGCI pour des études en support à la politique et la gestion). (3)
Le " Plan de politique pour une coopération internationale " publié à ce moment pose le problème de la réflexion sur l’idée de " développement " : " C’est pourquoi nous devons évoluer d’une coopération au développement vers une coopération internationale. De l’indigence à l’échange. D’un contact unilatéral à la réciprocité. Car l’aide n’aide que partiellement. Une vraie coopération exige un dialogue et un partenariat. " écrivait R.Moreels. (4)
On promulgue alors la " Loi relative à la Coopération internationale belge " (1999), on crée la Direction Générale de la Coopération Internationale (DGCI) et on change le nom du Ministère des Affaires Etrangères qui devient " Ministère des affaires étrangères, du commerce extérieur et de la coopération internationale ". Hormis une insuffisance de l’analyse sur les causes de la pauvreté que l’on veut combattre, on peut dire que le consensus politique existait en Belgique sur les orientations générales de cette loi : concentration géographique, choix de secteurs et de thèmes prioritaires, importance de l’évaluation,…(5)
Par contre, les outils mis en place -avant la promulgation de la loi de politique générale précitée ! - ne tiennent pas compte de l’évolution institutionnelle de notre pays et particulièrement de l’existence de la coopération internationale des communautés et des régions, conformément à l’article 167 de la Constitution qui dit entre autres :
"
§ 1er. Le Roi dirige les relations internationales, sans préjudice de la compétence des communautés et des régions de régler la coopération internationale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui relèvent de leurs compétences de par la Constitution ou en vertu de celle-ci.
§ 1. Le Roi dirige les relations internationales, sans préjudice de la compétence des communautés et des régions de régler la coopération internationale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui relèvent de leurs compétences de par la Constitution ou en vertu de celle-ci. § 2. Le Roi conclut les traités, à l'exception de ceux qui portent sur les matières visées au § 3. Ces traités n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des Chambres.
§ 3. Les Gouvernements de communauté et de région visés à l'article 121 concluent, chacun pour ce qui le concerne, les traités portant sur les matières qui relèvent de la compétence de leur Conseil. Ces traités n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment du Conseil. "Pire, la réforme nie même de fait l’existence de cette coopération des entités fédérées en accordant le monopole de l’exécution de la politique fédérale en la matière à une nouvelle société, la Coopération Technique Belge. Dans un même mouvement, le niveau fédéral crée de nouvelles lignes budgétaires pour des partenaires " naturels " des entités fédérées, comme les communes et les acteurs culturels (Africalia, par exemple).

Quelques responsables dans les pays du Sud, partenaires de la Communauté Wallonie-Bruxelles dans le secteur culturel, manifestèrent même leur étonnement devant cette évolution à rebours…
Enfin, et ce n’est évidemment pas le fruit du hasard, on a profité du plan Copernic pour abandonner l’expression " coopération internationale " dans le nom du ministère et revenir ainsi à un plus classique et conservateur " service public fédéral affaires étrangères, commerce extérieur et coopération au développement ", avec un manager pour " la Coopération internationale au développement " nouveau nom proposé pour l’éphémère DGCI ! (6)
Ce trop bref rappel nous montre que le débat public sur la défédéralisation de la coopération au développement ou sur la création du Conseil Wallonie-Bruxelles de la coopération internationale se fait entre des personnes qui ont une définition différente du concept de " coopération internationale ". De plus, certaines d’entre elles utilisent l’expression " coopération au développement " comme un outil destiné à contrecarrer la volonté du législateur de 1993 qui accordait des compétences dans la coopération internationale aux entités fédérées. Cette attitude peut être dictée par des raisons différentes selon les interlocuteurs : méconnaissance des réalisations des entités fédérées dans la coopération internationale, refus de l’évolution de l’état belge prévue dans l’article 167 de la Constitution ; choix idéologique en réaction à une " altermondialisation " dérangeante qui investit tout le champ de l’aide publique au développement, défense des intérêts corporatistes de ceux qui maîtrisent aujourd’hui les rouages des subventions fédérales en matière internationale et/ou en bénéficient,…
Prétendre que " la coopération au développement est une matière en soi ", c’est dire que le développement d’un pays dépend quasi exclusivement de cette " matière " et de son budget. C’est un peu comme si on disait que le développement de la Belgique ou d’une de ses régions dépendait exclusivement de leur ministère des affaires sociales !
Jusqu’à nouvel ordre, on entend par " coopération internationale belge ", comme le précise la Loi du 25 mai 1999 relative à la coopération internationale belge, " les actions et contributions de l’Etat belge en matière de coopération bilatérale directe, multilatérale et bilatérale indirecte ". L’article 3 de la Loi précise que " la coopération internationale belge a pour objectif prioritaire le développement humain durable, à réaliser par le biais de la lutte contre la pauvreté, sur la base du concept de partenariat et dans le respect des critères de pertinence pour le développement."
La nouvelle dénomination, sera-t-elle le symbole d’un recul conceptuel, à savoir le retour au paternalisme de l’A.G.C.D., ou restera-t-elle un épiphénomène sans importance ?
L’avenir nous le dira…

Jean-Pierre Lahaye
(2003)


Références :
(1) Demain le Monde - dossier Assises 2002 de la coopération au développement-n°62-63, mars-avril 2002 ; pp.18-19.
(2) Communautarisation de la coopération au développement , Jean-Claude Willame, Courrier hebdomadaire CRISP 1990.n°1280-1281, pp23-30.
(3) " Ekstermolen platform, Overhandigd aan de Vlaamse Solidariteitsbeweging vertegenwoordigd door NCOS en COPROGRAM, Brussel, 3 juli 1995.
(4) Plan de politique pour une coopération internationale, Cabinet du Secrétaire d’Etat R.Moreels, 1998, SFI
(5) Loi relative à la coopération internationale belge du 250599
(6) Rapport d’activités 2001 du Ministère des affaires étrangères, du commerce extérieur et de la coopération internationale.(pp.106-107)
14.10.07

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