Le VIF - F.Brabant
Le Vif/L'Express s'est baladé en périphérie bruxelloise, histoire de sonder le ressenti des néerlandophones. Pour la plupart, ceux-ci regrettent « l'arrogance » des francophones et fustigent leur refus de « s'adapter ». Mais on aurait tort de réduire ces propos à de l'agressivité gratuite. Reportage au cœur d'un malaise.
N'y cherchez pas la moindre trace de convivialité ! Un samedi après-midi, le zoning de Drogenbos s'apparente à une fourmilière aussi étouffante que déshumanisée. Adossés au ring, hyper- marchés, magasins de sport et autres temples de la consommation engloutissent une foule d'acheteurs. Francophones, pour la plupart.
Drogenbos a beau se trouver sur le territoire de la Région flamande, plus de 75 % de la population y parle français. Sur les parkings du zoning, bien rares sont les clients néerlandophones. Marie-José, une pensionnée habitant à Beersel, ouvre le tir : « On en a marre de payer pour les Wallons. » Corneille, son mari, enchaîne : « Mon père était français, mais je suis un echte Vlaming. Et il est temps qu'on nous défende, nous, les Flamands. »
Avis mitigés, toutefois, parmi les néerlandophones rencontrés. « Je me sens belge, un point c'est tout », lâche Claude Masi, gérant d'un dancing à Huizingen. Même son de cloche auprès de Maurice Bumtinx, qui peste contre cette « bouillabaisse communautaire ». Mais une autre cliente s'indigne : « Ma fille a travaillé ici pour un job étudiant. Elle était la seule caissière réellement bilingue. Au moindre problème avec un client néerlandophone, on faisait appel à elle... »
« Dans mon village, le nombre de francophones augmente d'année en année, constate Marie-Louise Vanderosieren, de Ruisbroek. Ils peuvent venir, ce n'est pas ça, mais ils doivent s'adapter. » Pour enfoncer le clou, Marie-Louise sort l'argument qui tue : « Depuis que je suis pensionnée, je passe trois mois par an dans les Ardennes. Eh bien, là-bas, je sais que je suis en Wallonie, et je parle français. » La perspective de se retrouver minorisés sur des communes historiquement néerlandophones alimente le malaise de nombreux Flamands.
Domiciliée à Hal, Sarah n'a vraiment pas le profil d'une nationaliste teigneuse. Elle a toujours voté Agalev et Groen ! et proclame son attachement à la Belgique. Récemment, elle s'est rendue à Floreffe pour assister au concert de Manu Chao. Et pourtant, elle n'en démord pas : l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde doit être scindé. « Il faut freiner la francisation de la périphérie. Les magasins où il est impossible d'être compris en néerlandais sont de plus en plus nombreux. Les francophones considèrent que c'est nous qui devons nous adapter à eux, et pas l'inverse. » S'adapter. Aanpassen, en néerlandais. Le mot revient sur toutes les lèvres
En poussant la massive porte de l'hôtel de ville de Drogenbos, on tombe sur une plaque dorée qui stipule : « Ni chiens ni vélos, noch honden noch fietsen ». Femme battante, atypique, Myriam Claessens cornaque l'échevinat de la Jeunesse et des Sports depuis octobre 2006. Elle fait partie de ces très rares néerlandophones qui considèrent sans amertume la francisation croissante de la commune. « Le phénomène n'est pas nouveau. Dans les années 1960, quand ma maman tenait la buvette du club de foot de Drogenbos, la majorité des conversations se déroulaient déjà en français. »
Le dossier BHV ? « Des zieverderas », c'est-à-dire des conneries, en bon dialecte bruxellois. Mais on la devine tout de même agacée par les positions francophonissimes du FDF. Cette idée d'organiser un référendum pour demander aux habitants du rand s'ils préfèrent rester en Flandre ou intégrer la Région bruxelloise, cela ne fait que jeter de l'huile sur le feu... »
Le Brabant champêtre, pittoresque... et flamand
Changement de décor. Les maisons mitoyennes de Drogenbos ont laissé place à des villas cossues. Bienvenue à Sterrebeek, dans le Brabant champêtre et pittoresque. Située sur la commune de Zaventem, la localité compte plus de 25 % de francophones. Ceux-ci ne disposent pas de facilités. Mais la peur de la verfransing n'en est pas moins aiguë.
L'an passé, l'association Sterrebeek 2000 s'est émue que Jo Lemaire n'ait interprété que 3 chansons en néerlandais lors des festivités du 11-Juillet, en l'honneur du Vlaamse feestdag. Et le jour de la fête nationale, les paroissiens entonnent la Brabançonne... immédiatement suivie par le Vlaamse Leeuw. A Zaventem, depuis le mois de juillet, un règlement stipule que les instituteurs de l'enseignement communal ne doivent s'adresser aux parents qu'en néerlandais. Il est vrai qu'à l'école primaire de Sterrebeek 45 % des élèves ne parlent pas (ou peu) néerlandais à la maison. « Nous nous montrons compréhensifs vis-à-vis des familles qui viennent d'arriver en Flandre, et nous faisons quelques exceptions », assure, toutefois, Chris Van Vooren, directeur de l'école
Cette mauvaise volonté des francophones, que dénoncent la plupart des Flamands de la périphérie, connaît cependant des exceptions spectaculaires. Voyez le cas de Boudewijn Baudru. Ce fonctionnaire européen a quitté son Tournaisis natal à l'âge de 21 ans. Installé depuis dix ans à Sterrebeek, il s'est parfaitement « adapté », au point de néerlandiser son prénom et d'endosser la présidence du CD&V local. Aussi carré qu'Yves Leterme, il ne mâche pas ses mots. « Les Bruxellois considèrent le rand comme leur jardin. Ils viennent y chercher calme et verdure. Mais, bien souvent, ils se complaisent dans leur méconnaissance de la Flandre. Au moment des élections, le MR a inondé les boîtes aux lettres de tracts unilingues, alors que Zaventem n'est même pas une commune à facilités. Ce n'est pas comme ça qu'on assume sa belgitude. »
« Le français est une langue internationale. Contrairement au néerlandais. C'est un fait, énonce Farid Dahdouh-Guebas, conseiller communal SP.A à Zaventem. Mais doit-on pour autant balayer les identités locales ? Les francophones considèrent qu'ils constituent une minorité en Flandre et qu'ils doivent être protégés. Mais ce point de vue distord complètement la réalité. La langue faible, celle qui perd du terrain, et qui doit être protégée, c'est le néerlandais ! »
Lorsqu'on quitte Sterrebeek vers le sud, et qu'on arrive à Tervuren, une pancarte annonce : « Welkom in onze mooie Vlaamse gemeente ». Traduction : bienvenue dans notre belle commune flamande. Le mot important, bien sûr, c'est « welkom ».
François Brabant
Cet article a déjà été publié dans l'édition papier du Vif/L'Express au mois d'août 2007.
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