jeudi 13 décembre 2012

FUSION DES EXECUTIFS - Avis P.Van Parijs


Fusions des exécutifs : bravo les Wallons, au tour des Bruxellois !

Philippe Van Parijs Professeur à l'UCL et à Harvard

Un seul ministre-président pour la Wallonie et la Communauté française ?
Bravo. Enfin un coordinateur unique pour l'ensemble des compétences
défédéralisées qui concernent la Wallonie. C'est la sagesse même.

Reste à faire la même chose pour Bruxelles, en transférant aux autorités
bruxelloises les compétences communautaires qui concernent leur Région :
pour simplifier nos institutions mais surtout pour permettre à Bruxelles
comme à la Wallonie de formuler enfin un projet fort, cohérent et
mobilisateur, appuyé sur une version « light » ferme et efficace de notre
Etat fédéral dûment reconfiguré.

Pourquoi pas plutôt un projet commun aux Wallons et aux Bruxellois ? Parce
qu'au-delà du projet qui les rassemble avec la Flandre au sein de la
Belgique fédérale, un tel projet n'est ni réaliste ni désirable.

Qu'il ne soit pas réaliste, quelques chiffres aideront à s'en convaincre.
Une vaste enquête récemment publiée a notamment établi le constat,
abondamment commenté dans la presse, qu'en termes de compétence le
néerlandais a cédé la deuxième place à l'anglais au sein de la population
bruxelloise (R. Janssens, Van Brussel gesproken, VUB Press, 2007,
partiellement synthétisé dans Brussels Studies n°13, janvier 2008).

Mais elle apporte bien d'autres enseignements. Ainsi, il a été demandé aux
personnes interrogées d'indiquer à quelle catégorie elles s'identifiaient
en premier lieu. En ce sens, 39,8 % des Bruxellois se sont avérés être
d'abord Belges, 19,6 % d'abord Bruxellois, 15 % d'abord Européens, 6,6 %
d'abord francophones et 1,6 % d'abord Flamands. L'ordre entre ces cinq
identités est le même pour toutes les tranches d'âge, mais les proportions
varient. Ainsi, pour les personnes qui se déclarent prioritairement
bruxelloises, la proportion maximale est atteinte chez les plus jeunes
(21,7 %). Pour celles qui se déclarent prioritairement francophones, le
maximum est atteint chez les plus de 65 ans (8,2 %).

Pour un grand projet francophone avec une assise bruxelloise dynamique,
voilà qui n'est guère encourageant. Mais ce n'est pas tout. Comme dans une
enquête similaire menée en 2000, les personnes interrogées eurent
également à se prononcer sur le statut futur de leur région, en indiquant,
parmi quatre options - statu quo, rattachement à la Flandre, rattachement
à la Wallonie et statut spécial comme capitale de l'Europe -, laquelle
correspondait le mieux à leur opinion. De 2000 à 2006, le nombre des
adhérents au statu quo a chuté de 60,5 à 51,7 %. Le projet commun
Wallonie-Bruxelles en a-t-il profité ? Pas du tout. Au contraire même :
ceux qui optent pour le rattachement à la Wallonie, déjà rares, le sont
devenus plus encore. Sur les six ans, ils sont passés de 2,1 à 1,7 %, et
ils sont aujourd'hui moins nombreux - même parmi les Bruxellois
francophones - que ceux qui optent pour un rattachement à la Flandre, qui
passent pour leur part de 0,9 à 2,9 % du total

Mais ces oscillations ne sont que broutilles à côté d'un fait massif, qui
ne s'est guère modifié dans la période considérée. En 2006 comme en 2000,
l'immense majorité (plus de 9 sur 10) de ceux qui ne croient pas au statu
quo optent pour un statut spécial comme capitale de l'Europe. En l'espace
de six ans, leur nombre est passé de 36,4 à 43,7 % de la population
totale.

Ce qui n'est pas réaliste, cependant, est parfois désirable. Et il faut
alors lutter pour le rendre réaliste. Mais un projet francophone n'est pas
plus désirable qu'il n'est réaliste. Fondamentalement parce que pour être
viable et acceptable un projet politique doit être territorial et non
communautaire. Du niveau communal à celui de l'Union européenne, il doit
inclure tous ceux qui partagent un territoire, et non associer tous ceux
qui appartiennent à une même « ethnie », que celle-ci soit définie en
termes raciaux, religieux ou linguistiques. Donc de grâce pas un projet
politique pour les néerlandophones (et assimilés) d'une part, et un autre
pour les francophones (et assimilés) d'autre part, mais un projet pour
tous les habitants de Wallonie, un autre pour tous les habitants de
Flandre et un autre encore pour tous les habitants de Bruxelles, dans
chaque cas quelles que soient les langues qu'ils parlent et les origines
dont ils se revendiquent.

Aux antipodes d'un recroquevillement communautaire, un projet régional
wallon ou bruxellois ne doit ni ne peut être un repli régional. Tout au
contraire, il doit permettre aux Wallons de mieux s'ouvrir aux deux pays
voisins que la Wallonie partage avec la Flandre, et aux deux autres
qu'elle possède en propre et avec lesquels la Communauté germanophone lui
offre un puissant et précieux lien. Et il doit bien sûr permettre au
Bruxellois de mieux faire de leur petite ville cosmopolite une capitale de
l'Europe dont tous les Européens puissent être fiers. Pas seulement pour
le charme de ses restaurants exotiques ou le génie de ses dimanches sans
voitures. Mais avant tout parce qu'elle aura pu mobiliser à temps les
atouts dont elle dispose pour relever le défi immense que représente la
cohabitation de populations toujours plus diverses et pour donner un
avenir à tous les jeunes qui y grandissent.

Pour ce faire, il est crucial que le gouvernement et le parlement
bruxellois puissent avoir en main, comme leurs homologues wallons,
l'essentiel des compétences communautaires.

Crucial pour pouvoir mener une politique cohérente en matière de scolarité
et d'urbanisme, de formation et d'emploi. Crucial pour assurer au mieux
l'indispensable collaboration avec les deux Régions qui l'entourent.
Crucial et urgent pour pouvoir transformer la coexistence de trois
systèmes scolaires - francophone, flamand et européen - d'une grave menace
d'apartheid en un redoutable instrument pour doter tous les élèves
bruxellois des compétences linguistiques sans lesquelles ils seront
gravement handicapés, même dans leur ville, tout au long de leur
existence.

D'ici aux élections régionales, on détectera peu à peu quelles sont les
formations et les personnalités politiques bruxelloises qui s'obstineront
à rabibocher le projet ringard de la Belgique bicommunautaire de papa,
voire avoueront franchement leur ambition de placer Bruxelles sous tutelle
wallonne, et lesquelles s'attelleront au contraire à proposer et
construire un projet décomplexé incluant tous les Bruxellois, et épaulant
fraternellement une Wallonie enfin maîtresse de sa culture et de son
enseignement.




3.4.08








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