Fusions des exécutifs : bravo les Wallons, au tour des Bruxellois ! Philippe Van Parijs Professeur à l'UCL et à Harvard Un seul ministre-président pour la Wallonie et la Communauté française ? Bravo. Enfin un coordinateur unique pour l'ensemble des compétences défédéralisées qui concernent la Wallonie. C'est la sagesse même. Reste à faire la même chose pour Bruxelles, en transférant aux autorités bruxelloises les compétences communautaires qui concernent leur Région : pour simplifier nos institutions mais surtout pour permettre à Bruxelles comme à la Wallonie de formuler enfin un projet fort, cohérent et mobilisateur, appuyé sur une version « light » ferme et efficace de notre Etat fédéral dûment reconfiguré. Pourquoi pas plutôt un projet commun aux Wallons et aux Bruxellois ? Parce qu'au-delà du projet qui les rassemble avec la Flandre au sein de la Belgique fédérale, un tel projet n'est ni réaliste ni désirable. Qu'il ne soit pas réaliste, quelques chiffres aideront à s'en convaincre. Une vaste enquête récemment publiée a notamment établi le constat, abondamment commenté dans la presse, qu'en termes de compétence le néerlandais a cédé la deuxième place à l'anglais au sein de la population bruxelloise (R. Janssens, Van Brussel gesproken, VUB Press, 2007, partiellement synthétisé dans Brussels Studies n°13, janvier 2008). Mais elle apporte bien d'autres enseignements. Ainsi, il a été demandé aux personnes interrogées d'indiquer à quelle catégorie elles s'identifiaient en premier lieu. En ce sens, 39,8 % des Bruxellois se sont avérés être d'abord Belges, 19,6 % d'abord Bruxellois, 15 % d'abord Européens, 6,6 % d'abord francophones et 1,6 % d'abord Flamands. L'ordre entre ces cinq identités est le même pour toutes les tranches d'âge, mais les proportions varient. Ainsi, pour les personnes qui se déclarent prioritairement bruxelloises, la proportion maximale est atteinte chez les plus jeunes (21,7 %). Pour celles qui se déclarent prioritairement francophones, le maximum est atteint chez les plus de 65 ans (8,2 %). Pour un grand projet francophone avec une assise bruxelloise dynamique, voilà qui n'est guère encourageant. Mais ce n'est pas tout. Comme dans une enquête similaire menée en 2000, les personnes interrogées eurent également à se prononcer sur le statut futur de leur région, en indiquant, parmi quatre options - statu quo, rattachement à la Flandre, rattachement à la Wallonie et statut spécial comme capitale de l'Europe -, laquelle correspondait le mieux à leur opinion. De 2000 à 2006, le nombre des adhérents au statu quo a chuté de 60,5 à 51,7 %. Le projet commun Wallonie-Bruxelles en a-t-il profité ? Pas du tout. Au contraire même : ceux qui optent pour le rattachement à la Wallonie, déjà rares, le sont devenus plus encore. Sur les six ans, ils sont passés de 2,1 à 1,7 %, et ils sont aujourd'hui moins nombreux - même parmi les Bruxellois francophones - que ceux qui optent pour un rattachement à la Flandre, qui passent pour leur part de 0,9 à 2,9 % du total Mais ces oscillations ne sont que broutilles à côté d'un fait massif, qui ne s'est guère modifié dans la période considérée. En 2006 comme en 2000, l'immense majorité (plus de 9 sur 10) de ceux qui ne croient pas au statu quo optent pour un statut spécial comme capitale de l'Europe. En l'espace de six ans, leur nombre est passé de 36,4 à 43,7 % de la population totale. Ce qui n'est pas réaliste, cependant, est parfois désirable. Et il faut alors lutter pour le rendre réaliste. Mais un projet francophone n'est pas plus désirable qu'il n'est réaliste. Fondamentalement parce que pour être viable et acceptable un projet politique doit être territorial et non communautaire. Du niveau communal à celui de l'Union européenne, il doit inclure tous ceux qui partagent un territoire, et non associer tous ceux qui appartiennent à une même « ethnie », que celle-ci soit définie en termes raciaux, religieux ou linguistiques. Donc de grâce pas un projet politique pour les néerlandophones (et assimilés) d'une part, et un autre pour les francophones (et assimilés) d'autre part, mais un projet pour tous les habitants de Wallonie, un autre pour tous les habitants de Flandre et un autre encore pour tous les habitants de Bruxelles, dans chaque cas quelles que soient les langues qu'ils parlent et les origines dont ils se revendiquent. Aux antipodes d'un recroquevillement communautaire, un projet régional wallon ou bruxellois ne doit ni ne peut être un repli régional. Tout au contraire, il doit permettre aux Wallons de mieux s'ouvrir aux deux pays voisins que la Wallonie partage avec la Flandre, et aux deux autres qu'elle possède en propre et avec lesquels la Communauté germanophone lui offre un puissant et précieux lien. Et il doit bien sûr permettre au Bruxellois de mieux faire de leur petite ville cosmopolite une capitale de l'Europe dont tous les Européens puissent être fiers. Pas seulement pour le charme de ses restaurants exotiques ou le génie de ses dimanches sans voitures. Mais avant tout parce qu'elle aura pu mobiliser à temps les atouts dont elle dispose pour relever le défi immense que représente la cohabitation de populations toujours plus diverses et pour donner un avenir à tous les jeunes qui y grandissent. Pour ce faire, il est crucial que le gouvernement et le parlement bruxellois puissent avoir en main, comme leurs homologues wallons, l'essentiel des compétences communautaires. Crucial pour pouvoir mener une politique cohérente en matière de scolarité et d'urbanisme, de formation et d'emploi. Crucial pour assurer au mieux l'indispensable collaboration avec les deux Régions qui l'entourent. Crucial et urgent pour pouvoir transformer la coexistence de trois systèmes scolaires - francophone, flamand et européen - d'une grave menace d'apartheid en un redoutable instrument pour doter tous les élèves bruxellois des compétences linguistiques sans lesquelles ils seront gravement handicapés, même dans leur ville, tout au long de leur existence. D'ici aux élections régionales, on détectera peu à peu quelles sont les formations et les personnalités politiques bruxelloises qui s'obstineront à rabibocher le projet ringard de la Belgique bicommunautaire de papa, voire avoueront franchement leur ambition de placer Bruxelles sous tutelle wallonne, et lesquelles s'attelleront au contraire à proposer et construire un projet décomplexé incluant tous les Bruxellois, et épaulant fraternellement une Wallonie enfin maîtresse de sa culture et de son enseignement. 3.4.08 |
DEBAT INSTITUTIONNEL EN WALLONIE ET A BRUXELLES +++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++
jeudi 13 décembre 2012
FUSION DES EXECUTIFS - Avis P.Van Parijs
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