Q. En Flandre, on a réagi avec incompréhension à votre proposition de faire coopérer la Wallonie et Bruxelles dans une fédération. Peut-être devriez-vous l’expliquer à nouveau.
R. Il s’agit en premier lieu d’une simplification de nos institutions. A l’avenir, le nouveau gouvernement communautaire de la fédération Wallonie-Bruxelles sera composé de ministres des gouvernements régionaux wallon et bruxellois. Cela signifie moins de ministres, moins de cabinets et plus de choix politiques cohérents. Une fusion des institutions, comme en Flandre, est difficile pour les francophones. Quantitativement, les rapports sont tout autres. Le poids des 100.000 Bruxellois flamands face aux six millions de Flamands en Flandre est beaucoup moindre que celui d’un million de Bruxellois francophones face aux 3,2 millions de Wallons. En outre, dans notre approche, ce ne sont pas les communautés mais les régions qui sont les structures essentielles. L’objectif de la fédération Wallonie-Bruxelles est précisément d’établir une proche collaboration entre les deux régions, notamment sur le plan socio-économique.
Q. Qu’est que cela signifie pour la gestion de Bruxelles et la collaboration là entre Flamands et francophones ?
R. Bruxelles doit pouvoir se tenir sur ses propres jambes et recevoir pour cela toutes les compétences nécessaires. Bruxelles ne donc pas être géré comme un condominium – comme si Bruxelles était la propriété commune de la Flandre et de la Wallonie. Ce que je veux, c’est un Etat fédéral avec trois régions fortes. La Région bruxelloise, avec des compétences et un territoire propres, peut encore être la capitale du pays, mais plus celle de la Flandre.
Q. Les communautés doivent disparaître ?
R ; Non, mais mon approche est fondamentalement différente. Je pars des Régions, qui devraient avoir, pour la population sur leur territoire, des compétences tant pour les matières régionales que communautaires. Ces Régions devraient également se concerter pour prendre des règlements visant à protéger les minorités des autres communautés sur leur territoire. Il s’agit des Flamands à Bruxelles, des germanophones en Wallonie et des francophones dans les communes flamandes à facilités.
Q. En Flandre, on craint que votre fédéralisme à trois ne débouche sur une situation de deux contre un.
R. Cette crainte n’est pas fondée. Même dans un fédéralisme à trois, la Flandre conserverait toujours le plus grand poids dans la balance. En outre, vous pouvez aussi retourner ce raisonnement : peut-être que Bruxelles et la Wallonie doivent aujourd’hui avoir peur que la Flandre, économiquement forte, ne pèse tellement sur le processus de décision fédéral qu’il ne serait plus équilibré.
Q. Plaidez-vous aussi, comme votre coreligionnaire Philippe Moureaux, pour une Belgique confédérale ?
R. Je ne m’occupe pas de sémantique. Seule une construction qui repose sur trois régions fortes et équivalentes peut aboutir à un équilibre institutionnel stable et adulte. Je pense que Moureaux ne pense pas autre chose.
Q. Vous voulez donner plus de compétences à Bruxelles, mais la Région de Bruxelles-Capitale n’a pas encore fait beaucoup jusqu’ici en matière d’emploie et de lutte contre la pauvreté.
R. Cela vient de ce que la Région n’est pas suffisamment armée. L’enseignement est du ressort des Communautés française et flamande, mais la collaboration entre les deux est nulle. A cause de l’éparpillement des compétences, la formation – matière communautaire – et le placement – matière régionale – ne concordent pas bien. C’est pourquoi je dis : que les Bruxellois s’occupent eux-mêmes de ces affaires. Les Flamands et les Wallons ne doivent pas le faire à leur place. Dans toute l’Europe, les villes sont le moteur de la croissance économique. Bruxelles est quasi la seule grande ville qui ne dispose pas des moyens et des instruments nécessaires pour satisfaire à cette évolution.
Q. La fédération Wallonie-Bruxelles n’est-elle pas une mesure de précaution pour anticiper une scission possible du pays ?
R. Mais non. Je ne suis pas occupé, dans ma tête, à préparer la post-Belgique. J’ai toujours défendu un Etat fédéral qui fonctionne bien et je le fais encore.
Q. Mais il ressort d’une note de votre parti sur BHV que le PS craint effectivement une scission de la Flandre. D’où, selon la note, l’intérêt considérable d’un lien territorial ou « corridor » entre Bruxelles et la Wallonie.
R. Tous les partis francophones sont demandeurs pour relier Bruxelles et la Wallonie via Rode-St-Genèse, qui est en majoritairement francophone. Et je peux le comprendre. Mais il serait encore plus utile d’élargir Bruxelles avec des parties du Brabant wallon et du Brabant flamand. Cela profiterait au développement économique de la Wallonie et de la Flandre. Si Bruxelles est en effet aussi important pour la Flandre, je ne comprends pas bien pourquoi l’élargissement de Bruxelles suscite tant de résistance. Pourquoi la Flandre ne ferait-elle pas aussi de son côté une fédération avec la Région de Bruxelles-capitale ? On pourrait alors commencer à faire un corridor qui est beaucoup plus intéressant à mes yeux : un corridor européen allant de Lille à Anvers et Liège en passant par Bruxelles.
Q. Dans la Belgique des Régions, cette fédération Wallonie-Bruxelles continue-t-elle à exiger des droits linguistiques pour les francophones en Flandre ?
R. Je n’aime pas les discussions symboliques, je suis un pragmatique. Mais les problèmes dans la périphérie bruxelloise trouvent peut-être leur origine dans la confusion qui a existé dès le départ au sujet du statut de la frontière linguistique. Pour les francophones, cette frontière ne sera jamais considérée comme une frontière définitive, du moins pas dans le sens d’une frontière d’Etat. L’été dernier, Karel De Gucht, entre autres, a déclaré que la frontière linguistique était pour lui une frontière d’Etat. Les francophones ont ressenti cela comme une agression. Il semble en effet que certains pensent à un avenir qui verrait la Flandre et la Wallonie aller chacune de leur côté. La présidente du CD&V, Marianne Thyssen, dit que, sans accord communautaire pour le 15 juillet, rien n’est exclu. N’est-il donc pas normal que les francophones tiennent compte de tous les scénarios ?
Q Ne serait-il pas préférable que vous-même et le ministre-prédisent flamand Kris Peeters (CD&V) preniez place à la table de négociation pour chercher une issue à l’impasse communautaire ?
R. Kris Peeters et moi sommes tombés d’accord, ces derniers mois, sur pas mal de points, alors que le gouvernement fédéral a plus grandes peine à prendre des décisions concrètes. Je suis donc d’accord avec Kris Peeters pour dire qu’il y a aujourd’hui une meilleure collaboration entre les Régions qu’entre Flamands et francophones au gouvernement fédéral.
Q. Mais vous ne voulez pas travailler à la révolution copernicienne de Kris Peeters, qui déplace le centre de gravité de l’Etat fédéral vers les entités fédérées ?
R. A l’exception de ce qui concerne la sécurité sociale, on est en fait déjà dans le cadre de la révolution copernicienne. Du fait qu’il n’y a pas de hiérarchie des normes, les Régions ont déjà le même poids que l’Etat fédéral. Mais nos points de vue divergent en ce qui concerne la sécurité sociale. En fait il s’agit moins d’une question de personnes - Kris est Flamand et je suis Wallon – que d’une approche différente du sujet entre la gauche et la droite. Il existe en effet une alliance objective entre les partis conservateurs en Wallonie et en Flandre pour pouvoir aboutir, via la régionalisation du système, à une privatisation partielle de celui-ci. Car régionalisation et privatisation vont de pair.
Q. Qu’est-ce que cela signifie pour une éventuelle régionalisation du marché du travail ?
R. Notre plus grande préoccupation à ce sujet est que des règles trop spécifiques pour Bruxelles, la Flandre et la Wallonie amèneraient les divers marchés du travailler à évoluer de manière encore plus différente. A terme, cela peut avoir aussi des conséquences pour le financement de la sécurité sociale. Pourquoi ? Parce qu’on dira : à cause des différentes options politiques, les résultats sont maintenant tellement différents que nous ne demandons pas seulement la régionalisation des instruments mais aussi celle des sources de financement ; C’est le point le plus difficile. Mais si l’on peut trouver un règlement avec lequel les partenaires sociaux seraient d’accord, alors ce serait acceptable pour moi aussi.
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