jeudi 13 décembre 2012

RENFORCER LA COMMUNAUTE FRANCAISE ?


Chronique de Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp, dans « Le Soir » du mardi 22 avril 2008

Le « plaidoyer birégional » de Rudy Demotte et de Charles Picqué en faveur d’une Fédération Wallonie-Bruxelles a provoqué un déluge de commentaires, notamment à propos de l’affaiblissement programmé de la Communauté française. Pourtant, au vu des informations disponibles, on peut se demander si cette réforme ne pourrait pas, au contraire, conduire à renforcer la Communauté.

Il faut d’abord noter que ce plaidoyer birégional est loin d’épouser les thèses régionalistes. Les régionalistes wallons, qui ont redonné de la voix ces derniers mois, veulent la disparition de la Communauté française ou, à tout le moins, le transfert aux Régions de la plupart de ses compétences. C’est ainsi que l’ancien et le nouveau secrétaire général de la FGTB wallonne viennent de rappeler leur souhait de voir la recherche scientifique et l’enseignement passer aux Régions, ce qui priverait la Communauté de 80 % de ses responsabilités. Le congrès d’Ans des fédérations wallonnes du PS avait exigé, en février 1992, le transfert aux régions de larges compétences communautaires, dont toutes celles relatives à la santé et à l’aide aux personnes.

Les mouvements bruxellois qui ont pris leur essor ces dernières années plaident également pour une gestion régionale de compétences de la Communauté, option défendue, avec plus de clarté, par le tout nouveau parti Pro Bruxsel, qui veut régionaliser les matières liées aux personnes, à commencer par l’enseignement.

De même, les leaders germanophones demandent que dans chaque région linguistique une même institution possède à la fois les compétences régionales et les compétences communautaires, ce qui simplifierait le paysage institutionnel : cela ferait disparaître les actuelles Communautés française et flamande au profit de quatre entités qui se partageraient le territoire national sans liens ni recouvrement entre elles, une bilingue (Bruxelles) et trois unilingues (flamande, wallonne et germanophone).

Au regard de ces scénarios, la proposition de Rudy Demotte et de Charles Picqué apparaît comme une façon d’assécher les revendications régionalistes en reprenant certains de leurs accents sans faire disparaître, bien au contraire, la Communauté française, fût-elle rebaptisée.

C’est ainsi que leur texte prend soin de confirmer l’existence d’une « instance commune disposant de compétences et d’un budget propre ». Cela enterre le scénario, déjà très affaibli, d’une fusion entre Communauté et Région (qui reviendrait à faire disparaître la Région wallonne), mais cela consacre l’existence de la Communauté et son rôle de « trait d’union ».

En ne se prononçant pas sur de nouveaux transferts de compétences entre institutions francophones (qui peuvent être décidés sans rien demander aux Flamands), les ministres-présidents n’annoncent pas non plus le déshabillage de la Communauté française au profit de la Région wallonne et de la Cocof : laissant la commission Wallonie-Bruxelles décider des futures compétences de chaque entité, ils vont moins loin que le ministre Marcourt qui souhaite renforcer la Région wallonne au détriment de la Communauté.

Il est vrai que, sur le plan symbolique, rebaptiser la Communauté française « Fédération Wallonie-Bruxelles » a pour effet de mettre l’accent sur sa base birégionale. Le gouvernement arc-en-ciel avait déjà opté, en 1999, pour l’appellation « Communauté française Wallonie-Bruxelles », qui ne s’est pas réellement imposée. Parler de fédération entre les deux entités régionales est plus frappant, mais les effets juridiques et pratiques sont aussi limités : il n’est pas question de créer une vraie fédération, c’est-à-dire de voir deux entités indépendantes transférer une partie de leurs compétences à un niveau commun et supérieur de pouvoir.

La Région bruxelloise comme telle n’est en outre pas concernée par l’opération projetée, qui n’intéresse que la gestion des matières communautaires francophones, c’est-à-dire que la Communauté française, la Cocof et la Région wallonne. Non seulement les Flamands de Bruxelles n’ont rien à en redouter, mais juridiquement parlant, le changement de nom serait sans effet : sauf révision préalable de la Constitution, qu’on voit mal les Flamands accepter car eux aussi tiennent aux symboles, les décrets et autres actes à portée juridique porteront toujours l’estampille « Communauté française ».

Le cœur de la proposition, en réalité, porte sur la composition et le fonctionnement du gouvernement de l’entité qui gère les compétences communautaires francophones. Il s’agit d’aller plus loin qu’aujourd’hui, où seuls certains ministres sont communs à la Région wallonne et à la Communauté française (dont, pour la première fois, le ministre-Président des deux entités), et qu’en 1995-1999, lorsque tous les ministres de la Communauté siégeaient simultanément dans un gouvernement régional, mais à l’exception de la ministre-présidente Laurette Onkelinx, qui avait notamment la responsabilité de l’enseignement obligatoire.

Composer le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles exclusivement de ministres régionaux diminuerait le nombre de ministres, tout en démontrant que cette « fédération » est ancrée dans la réalité régionale – ce que montre déjà la composition du Parlement de la Communauté française, dont les députés ont été élus au Parlement wallon ou au Parlement bruxellois.

Il reste à voir comment s’opérera ce regroupement de ministres régionaux. Le texte parle prudemment « de » ministres bruxellois et wallons, et non « des » ministres : il n’affirme pas que tous les ministres francophones doivent entrer au gouvernement communautaire « revisité », ce qui aurait pour effet, si la règle était d’application immédiate, d’ouvrir le gouvernement de la Communauté française à Ecolo, qui dispose d’un poste ministériel, celui d’Evelyne Huytebroeck, à la Région bruxelloise. Il n’est pas rare que la majorité diffère entre l’aile francophone du gouvernement bruxellois et le gouvernement wallon : va-t-on leur imposer de cohabiter dans tous les cas de figure ?

Mais l’essentiel n’est pas là : il réside dans le mode de fonctionnement que devrait adopter ce gouvernement francophone réaménagé. En étant composé de ministres régionaux, il devrait prendre systématiquement en compte les spécificités bruxelloises et wallonnes, et les articuler plus étroitement aux politiques menées dans les deux régions puisque les ministres y seraient également actifs.

Relais des réalités de terrain, et lieu d’articulation entre toutes les politiques menées par les francophones, ce nouveau gouvernement pourrait être d’autant plus efficace que ses ministres seraient plus puissants, exerçant leurs compétences à deux niveaux de pouvoir, et dans des domaines plus larges que ceux qui sont parfois dévolus aux ministres de la Communauté française.

Les régionalistes wallons ne l’entendent pas ainsi, qui voient dans la proposition Demotte-Picqué l’annonce d’importantes pertes de compétences pour la Communauté : dans leur esprit, l’affirmation de la prééminence régionale ne peut avoir d’autre sens, alors que le texte des ministres-présidents est plus prudent à ce sujet. De sorte que si, au terme du processus de décision qui est en cours, la Communauté n’était pas privée de compétences majeures, elle pourrait en sortir plus légitime, plus visible et plus efficace : stabilisée, voire renforcée. Une ruse de l’Histoire ?


22.4.08
 

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